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sainte Bernadette

 

        A l’occasion du 150ème anniversaire des apparitions de Lourdes, de nombreuses publications et éditions s’affichent tant sur la toile que sur les rayons des libraires. Nous avons retenu deux titres pour approcher Bernadette Soubirous, femme d’exception reconditionnée par l’Eglise sans qu’elle n’ait jamais été dupe de la manipulation.

        Il y a désormais en poche, dans la collection Tempus des Editions Perrin la classique biographie d’Anne Bernet, intitulée simplement Bernadette Soubirous. Biographie qui se lit comme un roman, puisque l’auteur a choisi de mettre en scène les personnages comme dans un roman, à tel point que le lecteur ne sait plus trop s’il n’est pas en train de lire une fiction. Pas de distance donc malgré l’exactitude des faits mais une plongée très réaliste, conduite par une profane étrangère aux apparitions, au coeur des quotidiens complexes dans lesquels Bernadette a évolué.

        Très différent, étonnant et indispensable se révèle le beau texte d’Alina Reyes paru sous le titre La jeune fille et la vierge chez Bayard. Alina Reyes, en voisine, s’adresse directement à Bernadette Soubirous. Ce livre résulte de la rencontre de deux chemins spirituels, initiatiques, débarrassés des surimpositions superstitieuses ou religieuses, à la croisée de la poésie et du chamanisme. Alina Reyes rend Bernadette à la nature et à la surnature chère à Kunrath. Elle la rend aussi à l’intelligence en l’associant aux poètes qui habitent toujours son écriture. Elle lui donne vie, non une vie éthérée, mais une vie de femme, belle, charnelle, secrète, forte et fragile. Elle ne la livre pas comme tant d’écrits officiels sur Bernadette mais la délivre des filets qui ont voulu l’emprisonner :

        « C’est une science qui manque aux sociétés modernes. Partout dans le monde et depuis le début du monde, les chamanes ont su comment atteindre l’esprit à travers la matière, la matière de leur propre corps et celle de la nature, des lieux, des herbes. Artaud, qui cherchait la langue originelle et ressentait dans sa chair que notre société est malade d’avoir perdu l’esprit, est allé chez les Tarahumaras apprendre un peu comment utiliser le peyotl pour traverser les frontières, toucher l’infini.

        Le christianisme a secrètement horreur de la nature, parce qu’il en a peur. Parce que, par contresens, il a développé au fil des siècles une perversion spirituelle qui lui a fait prendre en terreur la liberté que lui donnait l’Esprit, donc la chair, le réel. Jésus pourtant pardonnait à la femme adultère et même aimait Marie-Madeleine, c’est-à-dire le réel, le principe de réalité qu’elles incarnaient.

        C’est dans saint Paul qu’il faut aller chercher la racine du contresens. Saint Paul parle parfaitement juste, mais sa langue fait des pointes sur la corde raide, elle est en éveil supérieur, et toute lecture un rien assoupie la fait tomber dans l’erreur. »

        Alina Reyes fait donc une lecture exigeante et à contre-courant de saint Paul, relevant qu’il a invité à traverser la loi mosaïque, à entendre le message révolutionnaire du Christ. Elle entend saint Paul du « point de vue » de l’éveil qui est justement une absence de point de vue, de même qu’elle veut rencontrer Bernadette dans le champ du silence, « déchosé », là où le concept est renvoyé au néant, là où l’Être est.

        De cette rencontre entre deux effrontées, deux insaisissables, aux destins si différents dans l’apparence, si proche dans l’intime, naît un pressentiment de merveilleux, non de fantaisie, non de croyance surannée, mais de merveille, en langue des oiseaux la mer, l’océan de l’éveil.

         « La meilleure consolation, murmure Alina Reyes, c’est de trouver le courage de chercher en ce monde le possible, ou le bonheur, de l’autre ou des autres mondes. L’autre monde existe, il est en nous. Et notre mission est de le faire advenir en ce monde. Sans attendre qu’il nous soit servi comme à la becquée après notre mort ou dans quelque univers parallèle – où nos sosies attendent peut-être aussi que nous vivions sur terre les possibles qu’ils n’ont pas le courage de vivre là où ils sont… La vraie consolation, c’est de ne pas s’exempter de sa liberté. Au cœur du monde, en notre cœur : l’esprit et ses possibilités infinies. »

         Elle voit chez Bernadette, chez Kafka et chez Rimbaud, un même regard. Elle détermine chez Bernadette, Kafka et Rimbaud auxquels elle ajoute Lautréamont, un même destin vertical :

         « Je te regarde intensément, toi qui me fixes de ce regard qui me rappelle celui de Kafka, ce regard si calme, si sombre, si discrètement souriant. (…)

         D’où revenez-vous donc, lui et toi ? Quel mal s’apprête à vous tuer si jeunes, l’un et l’autre, comme aussi Rimbaud ? Quelle voix m’appelle par vos trois visages si directs ? Tes yeux sont les leurs, mes yeux traversent ces yeux qui voient à travers moi, qui vivants étaient déjà d’outre-tombe. (…)

         Tu as ce regard qui pourrait être celui d’Isidore Ducasse, cet enfant ombrageux, de deux ans ton cadet, qui l’année suivant les apparitions, en 1859, entrait comme interne au lycée impérial de la ville voisine, Tarbes. Ce jeune homme mort plus tôt encore que Kafka, Rimbaud ou toi, à l’âge de vingt-quatre ans, sans avoir laissé d’autres traces de lui que Les chants de Maldoror, signés comte de Lautréamont, et des Poésies où il écrit : « Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans. »

         Pourquoi quatorze ans ? C’est l’âge auquel tu vis la Vierge, il ne pouvait pas ne pas avoir été impressionné par ta déjà fameuse histoire, lui qui, un an après les faits, venait vivre à quelques kilomètres de toi et de ta grotte. Il ne pouvait pas ne pas connaître ton visage… »

         Alina Reyes dévoile les liens poétiques invisibles, cette puissance de vie impossible à contenir et à limiter.

         Bernadette, Kafka, Rimbaud, Lautréamont, Alina Reyes, et d’autres… Plusieurs corps, plusieurs esprits, un seul regard, une seule liberté !

 

 

Tag(s) : #Avant-gardes
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