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C'est en 1919 que Albert t'Serstevens publia Apostolat, un roman, dans lequel il inscrit les joies et les désillusions d'une expérience communautaire de jeunesse, expérience qui se conclut tragiquement. L'histoire de la communauté phalanstérienne de la Cité Kropotkine est un raccourci de l'expérience humaine, entre illusion et impuissance. Albert t'Serstevens a dix-huit ans quand il fonde avec des amis cette communauté basée sur les idées de Fourier et de Kropotkine. Dans Apostolat, qui fut donné comme favori par la presse pour le Goncourt de 1920, Albert t'Serstevens s'attaque à la croyance, à toutes les croyances, il s'en libère, il s'en guérit, pas complètement toutefois, d'où ce mélange d'allégresse et d'amertume.

« Un char franchit la grille, et d'où s'envolaient des essaims de papiers multicolores : AWAY FOR WOMEN ! Il était plein à craquer de féministes furibondes et gesticulantes… Il s'avança, dans une solennité prestigieuse, parmi les fusées de bulletins et les râles des trombones, mit en fuite les fidèles de Pascal, et s'enfonça dans l'allée que bordait un double rang d'inspirées et d'élus : néo-chrétiens, équinoxiaux, sky-pilots au doigt tendu vers le zénith, malthusiens, catholiques, abstinents, végétariens, hétérodoxes, universalistes et conformistes, théosophes ésotériques ou exotériques, communistes indépendants ou étatistes révolutionnaires ou évolutionnistes - braillards pareillement - ; messianistes, talmudistes, caraïtes, hiérouschalaïmisants… ; disciples de Bouddha, de Confucius, de Zoroastre, de Marx, de Baphomet, de Bel et d'Irmensul ; les uns brandissant des croix, les autres des bannières, des cryptogrammes, des parapluies et des sceptres, des goupillons ou des longue-vues, arborant à leurs chefs triangles, cercles, losanges, dodécaèdres, appuyés de clairon, de timbales, de cornemuses, de pianos moroses, de saxophones quinteux ; mais tous certifiant l'absolu de leurs inspirations, l'intégrale vérité de leurs dires, tous, enfin, détenant le salut, promettant le paradis sur terre ou dans l'au-delà, s'engageant à fournir dans les quarante-huit heures la félicité éternelle. »

Albert t'Serstevens rejette, un demi-siècle avant mai 68, tous les bonheurs artificiels, tous les saluts, toutes les morales, toutes les idéologies, politiques ou religieuses, pour se saisir de l'instant présent, vivre intensément la vie ici et maintenant, pour jouir de ce qui arrive. Il a écarté ses illusions, douloureusement, pour trouver le pressentiment de la totale liberté de l'être. Cette blessure de jeunesse soutiendra tout au long de sa vie sa quête d'intensité et de beauté.

En 2002, Christian Durante Editeur a choisi de rééditer le livre, devenu introuvable, complété par un essai subtil de Jean-Pierre Martinet intitulé Un apostolat d'Albert t'Serstevens, misère de l'Utopie, de la chonique Le prix Goncourt au jour le jour et du dossier de presse de 1920 d' Un apostolat. Jean-Pierre Martinet, en deux textes, Misère de l'utopie et Misère de la littérature, indique avec quelle poésie, quelle érudition, Albert t'Serstevens décrit l'horreur de ne croire en rien, de voir s'effondrer repères, symboles et idéologies, et comment il se saisit de cette solitude joyeuse qu'il ne rompt qu'à travers le désir amoureux.

" Car dans l'univers de t'Serstevens, le VRAI péché, le seul pour lequel il n'y ait pas de rémission, c'est de ne pas assez aimer la vie, de repousser indéfiniment, dans un futur hypothétique, le bonheur de ne pas savoir cueillir, au moment où ils s'offrent à nous, les fruits merveilleux que l'on a à portée de la main. Manqué de Baccio et d'Erigone dans le Vagabond sentimental rejoint celui de Thérèse et de Douze-Apôtres dans L'Amour autour de la maison. Quant à la Grande Plantation, c'est un peu une Princesse de Clèves transposée à Tahiti. Les plus grands romans de t'Serstevens sont tous des romans de frustration. "

Nous serons d'accord avec Christian Durante et Jean-Pierre Martinet pour parler d'Albert t'Serstevens comme « d'un grand écrivain scandaleusement oublié ». 

 

Tag(s) : #Avant-gardes
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