Surréalisme et ésotérisme
Dans la continuité de l’ouvrage collectif Ouvrir les Serruriers auquel il a largement contribué, Patrick Lepetit poursuit avec un essai dense, érudit et pertinent intitulé Surréalisme et ésotérisme, ouvrir les Serruriers, publié chez Rafael de Surtis qui démontre, c’est encore malheureusement nécessaire, les liens, les alliances, les aventures partagées entre avant-gardes et traditions initiatiques, entre surréalisme et ésotérisme.
La démonstration de Patrick Lepetit, illustrées par de très nombreuses références, s’inscrit dans l’esprit des célèbres Entretiens d’André Breton publiés en 1952. Les attaques contre une approche ésotérique du surréalisme, ou simplement le déni de l’intérêt d’André Breton et d’autres surréalistes pour l’hermétisme s’édifient sur deux ignorances : celle de surréalistes ou de membres d’autres avant-gardes sur l’hermétisme et son caractère libertaire, celle de nombreux ésotéristes qui ne saisissent ni la nature ni la finalité de l’initiation, donnant ainsi du grain à moudre aux premiers.
Ces deux ignorances, leurs représentations et leurs préjugés, se radicalisent rapidement, parfois avec talent du côté des avant-gardes, rendant impossible une rencontre pourtant on ne peut plus créatrice et nécessaire.
Le grand mérite de ce livre, sera, sauf à revendiquer l’ignorance, ce qui est un droit, d’élever le débat et la rencontre au niveau des questions essentielles de l’être, du dépassement de soi-même, de la transgression comme initiation, de l’alliance de l’art et de l’initiation dans une même quête de liberté absolue. Il faut savoir passer outre le caractère anticlérical et athée marqué du surréalisme :
« C’est ainsi que le mouvement, nous dit l’auteur, essentiellement voué à la libération totale de l’esprit, et à la transformation du monde « sévère et inerte où il nous est prescrit de vivre », est apparu comme anticlérical et athée, s’est voulu anticlérical et athée et a été considéré comme tel et rejeté par la bourgeoisie, à l’exception de quelques originaux comme Edward James, Peggy Guggenheim ou les Noailles, l’église et les thuriféraires de l’ordre établi.
Or les choses sont peut être plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord, même si, « l’au-delà, tout l’au-delà est dans cette vie » (Nadja), et méritent sans doute d’être regardées d’un peu plus près, car, il faut bien le reconnaître, avec Marcel Mourier, que « De tous les surréalistes, en effet, Breton est le plus (le seul ?) métaphysicien, au sens étymologique du terme : celui que ses préoccupations essentielles conduisent sans relâche au-delà de la nature, vers la « vraie vie » qui, toujours « absente », selon le mot de Rimbaud, est peut-être surtout ailleurs », d’où une « philosophie particulière de l’immanence d’après laquelle la surréalité serait contenue dans la réalité même, et ne lui serait ni supérieure, ni extérieure » (Le surréalisme et la peinture). Dès l’origine, « absolument incapable de prendre (s)on parti du sort qui (lui) est fait, […] (Breton se) garde d’adapter (son) existence aux conditions dérisoires de toute existence ». Il pense qu’il faut se méfier de la vision que nous livrent nos sens, car elle est naturellement limitée par leur caractère imparfait et peu fiable, ce qui signifie que nous devons sans relâche chercher à retrouver l’unité entre perception et représentation, entre signifié et signifiant. Qu’on le veuille ou non, il y a donc dans la recherche surréaliste, et cela dès le départ, à côté d’un véhément refus du monde tel que la société – l’homme social englué dans ses égoïsmes de caste, de classe ou autres – l’a forgé, tel que nos sens – trompeurs – nous le laissent percevoir, une quête de l’absolu qui vise à retrouver l’unité perdue, surtout lorsqu’il s’agit de « l’unité d’âme, alors que nous abritons plusieurs consciences ». »
A lire sans aucun doute.
Editions Rafael de Surtis, 7 rue saint Michel, 81170 Cordes sur Ciel.