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Peter Sloterdijk

 

Critique de la raison cynique de Peter Sloterdijk, Christian Bourgois Editeur.

         Loin, très loin des pseudo « nouveaux philosophes », singes appointés par la société du spectacle, qui n’ont pas laissé un seul paragraphe fondamental, lisez Peter Sloterdijk. Ce livre, paru en 1983 en Allemagne, traduit en français dès 1987, a eu un fort retentissement. C’est qu’il réveille la philosophie engourdie, les philosophes et les penseurs.

         Sloterdijk constate que la philosophie se meurt et se cache derrière « des faux fuyants, des demi-vérités. Ces vaines et belles élévations – Dieu, Univers, Théorie, Pratique, Sujet, Corps, Esprit, Sens, Néant (…) substantifs pour jeunes gens, marginaux, clercs, sociologues. »

         Invitant à une philosophie dernière, sans illusion, il propose une méditation sur « Savoir c’est pouvoir », slogan qu’il considère comme le fossoyeur de la philosophie et qui a entraîné la politisation de la pensée.

         Peter Sloterdijk, d’emblée, se souhaite certains lecteurs. Et cette précision a son importance :

         « La violente impulsion antirationaliste dans les pays occidentaux est la réaction à un état d’esprit où toute pensée est devenue stratégie ; elle témoigne du dégoût qu’inspire une forme déterminée de la conservation de soi. Elle est comme un tressaillement sensible devant le souffle froid d’une réalité où le savoir est pouvoir et le pouvoir, savoir. En écrivant, j’ai pensé à des lecteurs, je me suis souhaité des lecteurs qui éprouvent cette sorte de sensations. »

         Le philosophe qui, plus tard, va appeler à un euro-taoïsme, note que de plus en plus de citoyens, dans un réflexe kunique sont persuadés qu’il faut d’abord « avoir une vie meilleure pour pouvoir apprendre quelque chose de raisonnable ».

         Le dépassement de la philosophie auquel veut conduire Peter Sloterdijk passe par un Gai Savoir, une science, ou un art, du renversement, qui ne soit pas seulement un déni évitant la profondeur. Point de pirouette. Pour lui, l’impulsion kunique, salutaire, réside dans « le dépassement de la philosophie dans une vie douée de présence d’esprit et guidée tout à la fois par la nature et la raison ». Encore faut-il éviter le piège de « l’auto-démenti cynique de ce que la philosophie avait incarné sous ses meilleurs aspects ». La voie est donc étroite entre la sagesse antique, les grands idéaux  et une philosophie prométhéenne de la rentabilité, entre l’injonction du « Connais-toi toi-même » et la nécessité clamée de la maîtrise de l’objet.

         Souvent, Peter Sloterdijk en appelle au témoignage de Diogène de Sinope qui indique : « celui qui peut laisser les choses, n’est pas accaparé par des projets autonomisés qui le traînent derrière eux ; celui qui pratique l’abstention ne tombe pas dans l’automatisme de la continuation spontanée d’activismes déchaînés. En opposant, dit-on, « la nature à la loi », Diogène a anticipé le principe d’auto-régulation et limité les interventions actives à une mesure « naturelle » (…) c’est seulement par la passivité et la placidité que la raison subjective devient capable de percevoir en elle une raison « objective ». »

         Pour le prolongement de sa recherche critique, Peter Sloterdijk suggère, suggère seulement, des expériences :

         « Il s’agit d’expérience pour lesquelles je ne trouve pas d’autre expression que l’expression exaltée de vie réussie. Dans nos meilleurs moments, quand la réussite intègre l’action, même la plus énergique, dans le laisser aller des choses et que le rythme de l’être vivant nous porte spontanément, le courage peut se manifester tout à coup comme une clarté euphorique ou comme un sérieux merveilleusement placide. Il éveille en nous la présence. En elle, l’état de veille s’élève tout à coup à la hauteur de l’Être. Frais et clair, tout instant entre dans votre espace ; vous n’êtes pas différent de sa clarté, de sa fraîcheur, de sa jubilation. Les mauvaises expériences passées reculent devant les occasions nouvelles. Nulle histoire ne nous fait vieillir. Les sécheresses du cœur de naguère ne nous dictent rien. A la lumière d’une telle présence d’esprit, le cercle magique des répétitions est rompu. Tout instant conscient aboli le désespoir de ce qui a été et devient le premier instant d’une Autre Histoire. »

         Ce livre important, véritable entreprise de démasquage, pose un regard lucide et détaché sur toutes les facettes de l’expérience humaine, mettant au jour les auto-emprisonnements de l’homme, proie devenue prédateur. Au contraire d’un pessimisme dépressif, il invite à être. Plus encore, par les chemins de détour, il convoque l’être.

 

Tag(s) : #Philosophie
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