L’art de bien vieillir dans l’esprit du Tao, poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun, collection Spiritualités vivantes, Editions Albin Michel.
Alors que nous cherchons des lieux où parquer nos vieux pour qu’ils ne nous cassent pas les pieds, si possible à moindre frais, la Chine traditionnelle a toujours su considérer le quatrième âge comme un âge d’or. L’expérience est cette matière précieuse qui donne accès à l’essence des choses à travers le sens de l’éphémère.
Emerveillement de la vieillesse, ce très beau recueil rassemble des textes du IVème siècle au XVIIIème siècle, écrits par sept poètes chinois : Wang Wei (701-761), Tu Fu (701-761), Po Chu-yi (772-846), Lu Yu (1125-1210), Yang Wan-li (1127-1206), Yuan Mei (1716-1797).
De retour la nuit
de retour au milieu de la nuit, je croise un tigre
la montagne est noire, dans la maison
tout le monde dort déjà
sur le côté je contemple la Grande Ourse
qui décline vers le Fleuve
je regarde en haut, Vénus en plein ciel
est lumineuse
la cour est généreusement éclairée par deux torches
à l’embouchure des gorges j’entends le cri
effrayé d’un gibbon
la tête blanche, le vieillard danse et chante
appuyé à ma canne, ne dormant pas,
que ferais-je d’autre ?
Tu Fu
Nous trouvons aussi dans ces pages Chuang-tzu et bien sûr Li Po. La fin de l’ouvrage est consacrée aux poèmes de l’art de mourir de Chuang-tzu, Tao Yuan Ming (365-427).
Mon pinceau ne vieillit pas
quand on compose des poèmes, c’est comme pour
les fleurs qui éclosent, elles sont chétives
à plus forte raison pour un homme
de quatre-vingt ans,
dont l’inspiration et l’imagination
depuis longtemps sont taries
pourtant les gens me réclament des poèmes
toute la journée ils ne cessent de m’importuner
ils savent bien que les vers à soie,
tant qu’ils ne sont pas morts,
continuent à dévider la soie jusqu’au dernier instant
je dois me faire violence pour m’exécuter
en moi-même j’ai honte, ce ne sont là que des brouillons
comment comprendre que mes bons amis,
quand ils viennent,
en fassent tous sincèrement l’éloge ?
je ne les crois pas,
néanmoins j’en conserve une copie
peut-être que ma tête et mes quatre membres
sont tous affaiblis
mon pinceau ne vieillit-il pas
Yuan Mei
les cheveux blancs, assis en lotus,
les fleurs jaunes de toutes parts m’entourent
rêvant que je suis papillon,
je volette autour de leur suave parfum
Yuan Mei
Les traducteurs dressent des portraits forts de ces grands poètes de l’âge et de la sagesse. « Le sage est nécessairement un « vieux sage » », rappellent-ils. Ils évoquent aussi Peng Tsu qui maîtrisait parfaitement l’art du souffle et est considéré comme l’initiateur des « arts de la chambre intérieure », pratiques sexuelles de longévité. Dans le taoïsme, il faut entendre les voies d’immortalité comme voies de longévité. Peng Tsu fut l’auteur des Principes pour nourrir la vie, « recueil de conseils pour préserver la santé et prolonger la vie, qui part du postulat que participer aux joies du monde est primordial pour progresser sur la voie du tao, la voie de l’accord au cours des choses. ».
C’est ce postulat de la joie qui se déploie dans ce recueil malgré le gris de la vieillesse.