
Bouddhisme et Re-naissances dans la Tradition Theravada par Didier Treutenaere. Editions Soukha, 39 rue du Cherche-Midi, 75006 Paris-France.
Ce gros volume consacré à la question des re-naissances, terme plus approprié que « réincarnation » sera un ouvrage de référence dans le domaine tant il clarifie la question en s’appuyant sur l’enseignement du Bouddha tel que nous le trouvons dans le Canon pâli plutôt que sur les trop nombreux commentaires fort éloignés des paroles du Bouddha qui, depuis des décennies, faussent le traitement de cette question qui est au cœur du Bouddhisme.
Le sujet est abordé dans le cadre du Bouddhisme Theravada, qui a fait le choix de la langue Pâli pour conserver l’enseignement du Bouddha, conformément à sa volonté, le sanskrit étant réservé à une élite.
Après avoir rappelé la place du Bouddha dans l’histoire spirituelle de l’Inde, Didier Treutenaere évoque la spécificité de son enseignement, particulièrement révolutionnaire. En effet, selon le Canon Pâli, le Bouddha énonce :
« qu’il n’y a pas de dieu créateur du monde et des êtres ; que la divinité qui croit l’être se trompe, comme ceux qui la suivent dans cette illusion ;
qu’il existe différents plans d’existence, soumis eux aussi aux aléas des cycles cosmiques ;
que l’accès à ces plans d’existence ne dépend pas d’un dieu mais de la nature propre et des actions des êtres ;
que les habitants des plans d’existence étiquetés comme « divins » partagent avec tous les êtres la souffrance née de l’illusion d’une existence essentielle et permanente, et sont même, du fait de leur perfection et de leur longévité, des victimes majeures de cette illusion ;
que les enseignements du Bouddha, s’adressant à toutes les victimes de l’illusion, concernent également les divinités ;
que l’humanité est un plan d’existence privilégié, ce dont témoigne le fait que les bouddhas y vivent leur ultime existence, celle qui mène à la libération ;
que le but ultime du disciple du Bouddha n’est pas une re-naissance paradisiaque mais l’absence de re-naissance. »
Chacun de ses points est développé dans le détail et dans ses conséquences par l’auteur. Les degrés et les techniques de méditation sont examinés et classifiées. Les trente et un plans d’existence, qui ont tous une durée, sont présentés dans leur lien avec le principe d’impermanence. Le but ultime est bien l’absence de re-naissance. La re-naissance humaine est pour le Bouddha une rare opportunité. Cependant, les textes font souvent promesses de re-naissance dans un monde divin, sorte de proposition transitoire, en attendant la possibilité de stopper le processus de re-naissance.
Didier Treutenaere signale l’absence de métaphysique et d’ontologie dans l’enseignement du Bouddha, exclusivement pragmatique, véhicule d’une culture mentale qui veut que la méditation ne vise pas une extase mais une pleine conscience et une dissolution de la mondanité rejetant aussi bien l’éternalisme que l’annihilationisme. Au fil des pages, il apparaît que la voie médiane, transmise par le Bouddha est d’une telle subtilité qu’elle ne peut être commentée rationnellement.
La question de la continuité est ainsi difficile à aborder entre une loi de co-production conditionnelle et loi du kamma. La loi de co-production conditionnelle prend en compte la simultanéité des facteurs produits. Bien qu’ouvrant à une métaphysique, le Bouddha ne s’en saisit que pour résoudre la question de la souffrance et de la cessation des re-naissances. Il en découle une compréhension de l’enchaînement des moments de conscience sans pour autant proposer une essence personnelle permanente. Le Bouddha a réellement approfondi de manière exemplaire l’enchaînement des conditionnements.
Le kamma, notre « karma » occidental étant un concept largement déformé, peut être présenté dans sa complexité, selon l’auteur :
« Le kamma bouddhiste, par conséquent, peut être ainsi défini : « action volontaire, consciemment acceptée, issue du corps, de la parole ou de la pensée », « action intentionnelle dans laquelle le résultat est inhérent », « impulsions qui résultent d’actions antérieures et qui produiront des effets en relation avec la continuité de l’existence ». Tous ces actes constituent un flux complexe qui imprime ses effets sur nos corps, nos pensées et nos nouvelles actions ; à leur tour, les actions que nous effectuons avec notre corps, notre langage et notre esprit produisent de nouvelles impulsions, qui déterminent la nature et la qualité de nos existences futures. Ce flux complexe est en quelque sorte « notre énergie en devenir ». »
Ceci conduit à une toute autre définition du bien et du mal, "profitable à la libération des re-naissances" ou au contraire "favorisant l’enchaînement au cycle des re-naissances". Il ressort aussi de cette approche l’absence d’une âme renaissante. Tout une partie de l’ouvrage traite de la question de la mort.
Ce livre de six cents pages est une vaste synthèse, très rigoureuse, de l’enseignement du Bouddha. Le lecteur découvre que le Bouddha a laissé volontairement de côté des pans entiers de questionnements pris en compte dans les traditions et religions pour ne se concentrer que sur l’unique question de la cessation de la souffrance et par conséquent de la re-naissance, quel que soit ce qui souffre ou re-naît. A travers cette unique question, tout l’enseignement du Bouddha se déploie de manière très logique.