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Les lamas se cachent pour renaître Comprendre le Tibet


par Arnaud Dotézac

Editions Xenia.

 

 

 

  

         Arnaud Dotézac ne semblait pas être concerné par le bouddhisme et le Tibet jusqu’au moment où son fils, à la suite d’événements peu ordinaires, fut reconnu officiellement comme Tülkou. Il fut ainsi plongé avec force, voire violence, au coeur du bouddhisme tibétain. Il put ainsi en explorer les multiples facettes et nous livrer cet essai remarquable pour comprendre le bouddhisme et l’histoire, passée et présente, du Tibet.

         Nous avons souvent une vision très lisse du bouddhisme tibétain, vision construite à partir des paroles très profondes du Dalaï-lama et de sa non-violence affirmée. Cette vision est largement fausse et ne permet ni de comprendre le bouddhisme ni de saisir la complexité du drame tibétain. Arnaud Dotézac mêle dans ce livre, pari difficile mais réussi, des éclaircissements précieux sur certains concepts, certaines pratiques, qui fondent le bouddhisme, ou les bouddhismes, du Tibet, avec une approche géopolitique et économique de l’histoire tibétaine. Loin d’une linéarité harmonieuse, l’histoire tibétaine est chaotique, complexe, riche en drames, en trahisons, en intrigues. L’histoire du Tibet ressemble à l’histoire de toute région du monde. Les tibétains, bouddhistes ou non, sont des humains comme les autres, qui connaissent les luttes de pouvoir et de territoire.

         Cet essai démontre avec force que l’initiation se perd toujours dans le politique. Chaque fois que les représentants spirituels du bouddhisme tibétain eurent à assumer le pouvoir politique, ce fut un échec cuisant. Chaque fois que le bouddhisme s’écarta de la tentation politique, ce fut une période faste.

         « Ma thèse est la suivante, développe l’auteur : en s’installant au pouvoir à la faveur d’un rapport de force parfois très violent, les moines ont fini par inhiber toute capacité d’adaptation à la modernité quand elle frappa aux portes du tibet. Ils ont fait la démonstration de leur échec en affaiblissant leur pays, au point de l’abandonner en pâture aux dictateurs du prolétariat. En revanche, lorsqu’ils restèrent dans leur rôle de source de sagesse, le Tibet vécut libre et en paix. C’est du retrait des religieux vers leur fonction de sagesse apolitique que dépendra, selon moi, l’avenir du Tibet. Mais il s’agit d’un choix sacré qui n’appartient qu’aux Tibétains. Personne n’a le droit de se substituer à eux, les Chinois moins que quiconque, eux qui n’ont pas non plus de contre-pouvoirs. »

         Mais ce livre délivre aussi, surtout, de nombreux indices quant à la nature des voies réelles. Par exemple quand l’auteur cite Tülkou Urgyen :

         « Les gens espèrent qu’après avoir récité un certain nombre de mantras, la déité arrivera en face d’eux, les yeux dans les yeux. En fait, cette attitude extériorise la déité. Or, la déité ultime est l’unité de la vacuité et de la cognition : la nature de votre esprit. Au lieu de sonner de la clochette et tambouriner, dans l’attente d’une apparition de la déité là-haut, dans le ciel en face de vous, vous feriez mieux de reconnaître « qu’est-ce » qui imagine tout cela. Alors, vous verrez l’Etat dans lequel la vacuité et la conscience sont inséparables. C’est cela, le réel face-à-face avec la réelle déité. »

         Le bouddhisme est une voie d’éveil. Quand il se confond avec une religion, il se dilue dans les contingences humaines, quand il s’allie au politique, il se perd et se corrompt. Il en est ainsi pour toute voie d’éveil qui conduit au-delà des dualismes et des concepts :

         « Ce sont les yogis tantriques qui depuis l’Inde ancienne nous disent qu’il est possible d’oser ce face à face avec notre nature insubstantielle : un affrontement non-duel, non conceptuel, au-delà même d’un « point de pensée »... On appelle parfois cela « l’oeil de Bouddha », pour une vision qui n’a pas à nou sconduire au-delà d’elle-même pour trouver la bouddhéité, car elle nous dit que nous y sommes déjà. »

         L’auteur précise aussi la notion de réincarnation. Nous savons que c’est là une croyance religieuse dont ne s’encombrent pas les voies d’éveil. On parle pourtant de réincarnation d’un Tülkou. Il n’y a pas survivance et réincarnation d’un « moi », de la « personne » conditionnée, comme le croient trop facilement nombre de réincarnationnistes, mais la possibilité pour la conscience, sous certaines conditions opératives, de « capter », de s’approprier une « mémoire » traditionnelle ou initiatique afin que le dépôt soit réactivé.

         Ce livre est riche, riche de l’expérience particulière de l’auteur, riche de ses analyses et de ses réflexions. Voir le Tibet tel qu’il est, et non comme un Tibet rêvé, contribue davantage que les acclamations aveugles, à le sortir de l’ornière chinoise. Ce voyage lucide dans le bouddhisme tibétain ne peut que servir la cause du Tibet Libre.

www.editions-xenia.com

 

Tag(s) : #Tradition
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