Hergé et l’énigme du Pôle de Paul-Georges Sansonetti, Editions Le Mercure Dauphinois.
Un ouvrage de Paul-Georges Sansonetti est toujours un événement dans le monde de la pensée traditionnelle. On se souviendra notamment de Graal et alchimie, Chevaliers et Dragons, Chevalerie du Graal et Lumière de Gloire. Ce spécialiste du cinéma, il a entre autres écrit sur Matrix, sait tisser ou révéler les liens, éclairer ce qui fait signe, traquer et trouver les accords.
Sans doute, à un moment ou un autre de la lecture de cet essai, le lecteur se demandera s’il ne va pas un peu loin, si, vraiment, Hergé, pseudonyme de Georges Rémi, a voulu coder tant d’éléments traditionnels dans son œuvre désormais planétaire. Paul-Georges Sansonetti n’est pas le premier à mettre en évidence l’ésotérisme de Tintin mais il livre ici, en 500 pages, un ensemble très fouillé, rassemblant tellement d’indications concordantes qu’il valide l’hypothèse du « long chemin initiatique arpenté par Tintin » qui commence avec Les Cigares du Pharaon.
La modalité privilégiée de codage utilisée par Hergé semble bien être la guématrie, science traditionnelle sur laquelle il s’est appuyé pour développer un ensemble symbolique autour du thème essentiel du Pôle, entendu comme « focalisation spirituelle de la connaissance », qui évoque bien sûr le « Centre suprême » cher à René Guénon. La référence à la Tradition primordiale sur laquelle a tellement insisté et à juste titre René Guénon, sans être nécessairement toujours compris, est au cœur de l’étude de Paul-Georges Sansonetti, véritable quête du 111, un triple 1. Ce nombre, aussi important peut-être que le 515 de Dante, « résume à lui seul ce qu’il convient de nommer l’énigme du Pôle ».
Nul ne sera surpris de commencer cette aventure par l’Ordre du Temple et la Société Angélique, deux sociétés qui s’inscrivent dans une lignée, tantôt en queste, tantôt gardienne, d’une tradition de l’Axis Mundi.
Tintin, comme œuvre ésotérique, a pour l’auteur une fonction semblable aux grands écrits traditionnels, on pense aux écrits de Rabelais ou de Cervantès, véritables corpus. D’ailleurs, Tintin et Milou évoque pour lui, toujours en terme de fonctions initiatiques, Don Quichotte et Sancho Pança. On notera d’ailleurs, d’une manière générale que la question de la traversée du jeu duel, jusqu’à l’interrogation des gémellités, sens même de la queste, est mise en scène de manière récurrente au fil des albums.
Le lecteur est rapidement emporté dans un tourbillon de symboles et de signes dont il devra toujours chercher l’œil, le centre immuable. En revisitant les célèbres albums, Paul-Georges Sansonetti l’invite à acquérir une science du symbole qui tend aujourd’hui à se perdre y compris dans les ordres initiatiques qui résistent difficilement à la quantité et à la mondanité.
L’ouvrage est non seulement une aventure passionnante pour les tintinophiles mais il regorge d’indices traditionnels, d’enseignements discrets et de pistes hermétistes qui en font une instruction traditionnelle subtile, parfois déconcertante, comme il se doit.
Hergé apparaît comme un fils d’Hermès :
« Notre auteur et ses inspirateurs éventuels firent en sorte que rien de ce qui concernait les composantes essentielles de la Tradition primordiale ne soit ouvertement exposé aux lecteurs. Cependant, de par leur subtile et parfois fort savante occultation, ces composantes nécessitent, si l’on souhaite les voir apparaître, une extrême attention portée aux images. (…) Aux images, certes, mais aussi aux noms de personnages, de lieux et d’objets et c’est en cela que la guématrie se révèle incontournable ; notre étude n’a cessé de le montrer. (…)
Hergé et le cercle très fermé des personnes chargées de l’assister dans son travail s’appliquèrent à réaliser ce qu’il y a d’essentiel et disons même de vital pour un peuple : transmettre les données fondamentales permettant d’appréhender la Tradition primordiale et sa centralité polaire. On peut considérer comme véritablement extraordinaire le fait que la plus célèbre bande dessinée – d’où sa traduction dans des dizaines de langues – se fasse précisément la gardienne du secret des origines transmis en Occident, durant deux mille ans, par le Johannisme et les organisations qu’il devait générer. (…)
L’œuvre d’Hergé, redisons-le, s’inscrit indéniablement comme l’une des plus importantes de l’histoire du roman graphique et, sans doute, doit-on lui attribuer la première place d’un genre enfin reconnu par nos académiciens. Mais son rôle essentiel réside ailleurs : dans ce qu’elle contient de caché et qui, faisant directement référence aux travaux de René Guénon et d’autres exégètes de la Tradition, reconduit au Pôle en annonçant le retour d’un éclairement spirituel conférant jadis à des civilisations le sentiment souverain d’exister d’une façon tangentielle à l’éternité. »
Le Mercure Dauphinois, 4 rue de Paris, 38000 Grenoble, France.