Retour à l’émerveillement de Bertrand Vergely, Essais Clés, Edition Albin Michel.
Certains livres, rares, sont précieux. Ils sont des Amis, au sens antique des amitiés philosophiques et spirituelles. Ils ne font pas que nous inciter à penser, ile sne font pas qu’enseigner, ils veillent et éveillent. Ce livre appartient à cette catégorie.
Au cœur de la parole de l’auteur, se trouve l’émerveillement, la Merveille. Bertrand Vergely, plutôt que de réenchanter le monde, nous invite à prendre conscience de l’émerveillement, actuel et permanent. Une autre profondeur donc, liée à la présence de ce qui est là.
« Il est merveilleux, nous dit-il, de commencer, merveilleux de recommencer, merveilleux d’être à chaque fois prêt à vivre, merveilleux de ne pas se lasser de vivre. Inversement, rien ne permet mieux de commencer que ce qui émerveille. Un début est un début parce qu’il est un bon début. Quand un début rate, ce n’est plus un début mais une fin. On a donc raison de parler des merveilles de la Nature et de la Nature comme d’une merveille. Tout comme on a raison de lier Phusis et Logos comme l’ont fait les Anciens. On songe à Héraclite : « Une seule sagesse : savoir que la pensée gouverne tout à travers tout. » On songe aux modernes. Heidegger : « Phusis et Logos sont une seule et même chose. » La Nature qui persévère dans son être, la Nature qui est toujours prête à vivre, est un Logos permanent. C’est ce qui fait sa beauté. C’est ce qui explique qu’il n’est pas illusoire de parler de beauté à propos du monde. La beauté que nous y voyons n’est pas une projection de notre imagination, elle est la réalité même. Tant il est beau de persévérer dans la vie. C’est en regardant la Nature qu’Epicure a trouvé la sagesse, une sagesse qui consiste à « vivre selon la Nature », pour reprendre Zénon de Citium. « Il n’y a pas de temps pour philosopher, dit Epicure, parce qu’il est toujours temps de philosopher. Il est toujours temps d’être heureux, philosopher et être heureux étant une seule et même chose. » Sublime leçon. Il n’y a pas de temps pour la vie comme pour le bonheur parce qu’il est toujours temps de vivre. »
Cet art de vivre en quatre parties, Au commencement était le Verbe – La tentation nihiliste – La résistance au Nihiliste – Eloge du Miracle, trouve son aboutissement dans la fonction créatrice, « hypercréatrice » de l’être humain, médiateur entre être et paraître, nouménal et phénoménal, transcendant et immanent. Identifiant les éléments d’une philosophie du miracle (mot qui se rapproche de « merveille », « admiration », « miroir » selon Alain Rey), Bertrand Vergely en vient naturellement à se saisir du Christ comme miroir de l’être humain.
« Tout sépare le corps martyrisé d’un supplicié du corps glorieux d’un ressuscité. Tout les sépare comme tout sépare le corps d’un enfant du corps d’un adulte. Pourtant, non, c’est le même corps. Et c’est le fait que cela soit le même corps qui donne sens à la notion de corps spirituel. L’identité d’un être n’abolit ni l’identité de l’enfant ni celle de l’adulte. Elle englobe tout. Elle embrasse tout. Il en va de même avec l’identité du corps spirituel dont e Christ est le prototype. Elle englobe tout. Elle embrasse tout, l’Homme visible que l’on a été et que l’on est et l’Homme invisible que l’on est et que l’on est appelé à être. On se situe là au niveau de la source ineffable de la vie. Une source qui englobe tout, qui embrasse tout. »
Ce faisant, il éclaire certains aspects essentiels du processus initiatique du grand vivant :
« Nous sommes la maladie et nous sommes la guérison. Nous sommes le poison et nous sommes le remède. C’est ce qu’enseigne le Christ à travers la question : « Veux-tu guérir ? » Cela éclaire la foi, terme si mal compris. Il est courant de penser que celle-ci est adhésion voire adhésion aveugle. Elle n’est pas adhésion. Elle est processus. Un processus de haute connaissance récapitulant toute la vie de l’univers, toute son histoire. Qui a la fois se situe au point de jonction entre le Ciel et la terre. Il reçoit toutes les forces du Ciel en leur permettant d’aller du Ciel vers la terre avant de renvoyer toutes ces forces inconscientes devenues conscientes vers le Ciel afin qu’elles entrent dans la supra-conscience. C’est toute la circulation Ciel-Terre, Terre-Ciel qui se joue dans la foi, toute l’application de l’un à l’autre. C’est aussi toute l’histoire de la chute et du relèvement de l’humanité qui se joue. Il faut avoir relevé l’Homme en nous qui était tombé pour avoir la foi. Il faut avoir ressuscité le mort, guéri le paralytique, l’aveugle et le sourd. D’où la parole du Christ : « Ta foi t’a sauvé. » Ce qui est le cas. C’est le Dieu intérieur de chacun qui guérit chacun. Le Christ réveille la foi qui réveille ce Dieu intérieur. La liberté est communicative. Comme il est libre en laissant vivre son Dieu intérieur, il communique cette liberté à son entourage. Il n’y a pas que la maladie qui soit contagieuse, la guérison l’est aussi. Comme le rire. Elle est le rire des corps et des âmes rendus à eux-mêmes. »
Ce livre, habité par les poètes et les philosophes, consacré en réalité à la mort de la mort, à la permanence de la vie, est aussi un bel hommage à Christiane Singer, décédée en 2007, dont la vie est œuvre, et qui nous a laissé cette phrase : « Notre devoir le plus impérieux est de garder le fil de la merveille. Grâce à lui, je sortirai vivante du plus sombre des labyrinthes. »
Livre de Vie.
Editions Albin Michel, 22 rue Huyghens, F-75014 Paris.