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Odile Cohen-Abbas, Sourcière de Patrick Lepetit. Editions Rafael de Surtis.
Le beau titre trouvé par Patrick Lepetit exprime parfaitement la volonté d’hommage fait dans cet essai à Odile Cohen-Abbas, la femme et l’auteur et, à travers elle, à la liberté.
Patrick Lepetit considère que l’œuvre d’Odile Cohen-Abbas s’inscrit dans le surréalisme ou, plus exactement, qu’elle relève bien du Surréel, quelque peu oublié au profit des apparences surréalistes qui ne pouvaient que prendre le pas au sein de la société du spectacle annoncée par Guy Debord.
L’essai se structure en cinq parties, exprimant cinq axes de recherche, d’exploration des entrailles de l’œuvre et de la pensée-chair d’Odile : les entrechats d’une langue impérieuse et luxuriance, l’omniprésence d’un érotisme hors du commun, une inquiétante étrangeté, l’humour et la révolte, le Livre et la loi.
Le premier axe exploré est donc la langue, ses enchâssements, ses détournements, ses élans vers le Verbe, ses sons, qui disent tant, ses rythmes qui démontrent un combat gigantesque entre dieux et diables. Patrick Le petit opère chirurgicalement, scalpel à la main, ce qui n’exclut en rien la poésie, la lettre, elle-même parfois « médicale », effroyablement thérapeutique, d’Odile Cohen-Abbas.
« Le texte, dit-il, est salle de danse où s’entraîne un corps de ballet, la langue soumise au même genre d’exercices que ceux que s’imposent les danseuses, d’où ce constat qu’on peut, sur le plan de la forme au moins, définir Odile – qui pratique aussi tous les jours cet art – comme une chorégraphe de l’écriture – ce qu’elle fait du reste elle-même, nous l’avons vu, quand elle dit qu’elle pense ses ouvrages « avec le sérieux d’un chorégraphe ». »
Le deuxième axe de recherche est l’érotisme, ou peut-être davantage encore les puissances qui sont à l’œuvre à travers un art qui reste tendu entre perversion et sublime. Pour en saisir la nature réelle, Odile Cohen-Abbas n’a jamais hésité à se plonger dans les marges, car seules les marges conduisent au centre. Patrick Lepetit va chercher, dans une matière très alchimique chez Odile, le jeu, et les jeux, entre Eros et Thanatos, tout en cherchant à éviter Thanatéros, plus trompeur que révélateur au final.
Nous en venons à cette « inquiétante étrangeté » qui accompagne le lecteur d’Odile Cohen-Abbas jusqu’à remplacer sa propre ombre. Refermer définitivement le livre n’y change rien. Il est trop tard. Mieux vaut parcourir tout le chemin, voir où il mène, et découvrir des champs de lumière inattendus.
L’humour et la révolte se font alors sels alchimiques pour réaliser la séparation et engager un processus incertain dans lequel la transgression n’est plus transgression mais accomplissement.
Cet accomplissement permet un retour à rebours au Livre et à la Loi, un Livre de chair et une Loi de l’esprit, de l’esprit en liberté et en beauté.
La Sourcière est peut-être aussi souricière pour qui n’est pas averti, c’est-à-dire en alerte paisible, présent à soi-même et au monde, « réellement » disponible, prêt à se laisser dériver et à contempler en évitant les récifs de l’adhérence.
Outre l’exploration d’une œuvre inclassable, et l’approche d’un être insaisissable, Patrick Lepetit dans cet essai érudit, nous permet de voyager dans le monde des avant-gardes, passées, actuelles, d’en mesurer toutes les richesses, les possibilités, beaucoup restant à estimer.