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Aux origines du mythe cathare : Les « Bons Chrétiens » à travers l’histoire et la littérature européennes (Ve-XXIe siècles) par Alain Vuillemin. Editions Rafael de Surtis.

https://rafaeldesurtis.fr/

Alain Vuillemin, professeur émérite de littérature comparée de l’Université Paris-Est Créteil, historien, linguiste, a déjà produit plusieurs études remarquées sur les mouvements pauliciens, bogomiles, albigeois, cathares et autres, considérés comme hérétiques par les pouvoirs religieux et politiques.

Avec ce nouveau livre, une somme particulièrement érudite, il nous offre les fruits d’une recherche complexe et passionnante sur des pans méconnus, souvent fantasmés, de l’histoire des idées religieuses européennes.

En introduction, il présente les quatre regard posés sur les mouvements étudiés, leur histoire et leur influence, illustrant ainsi la démarche : « les dénominations attribuées – une mythologie complexe – un phénomène religieux – une littérature morcelée ».

Alain Vuillemin commence par une recherche minutieuse des dénominations et appellations que se donnèrent ces mouvements ou qui leurs furent attribuées, à travers le temps et l’espace, dénominations initiales ou dérivées, qui ne sont pas sans ambiguïtés. Exemple avec le mot « cathare » :

« Dans ces débats, le mot « cathare » occupe une place à part, il est apparu en Rhénanie au cours du XIIe siècle. Il ne peut être employé au sens propre qu’en Rhénanie, tout au long de la vallée du Rhin, uniquement pour cette région et pour cette période, au XIIe siècle. Il s’est répandu en Europe, dans l’historiographie, à partir du milieu du XIVe siècle. Il s’est substitué en Languedoc et en France au mot « albigeois ». Il ne correspond pourtant pas à ce qu’il prétend désigner. »

Si le berceau de ce courant protéiforme, fruit des conflits entre les religions de l’époque, fut iranien et son creuset arménien, ses implantations bulgares précèdent une expansion en Europe centrale et occidentale jusqu’à des infiltrations vers l’Extrême-Orient. Son rayonnement, généralement sous-estimé, est donc important.

Alain Vuillemin cherche à mieux cerner une mythologie complexe, devenue autonome et par conséquent assez insaisissable. Reconnaître les mythèmes et leurs déplacements dans le temps et la géographie mais aussi dans des récits de natures et constructions différentes (contes, légendes, fables, allégories, récits mythologiques…) est une tâche immense mais nécessaire. Pour cela, Alain Vuillemin part des récits fondateurs pour identifier un noyau initial arménien, paulicien, connu par un témoignage tardif, hostile, sans doute déformé, du IXe siècle. Il se fraye un chemin parmi les constructions polémiques, les mythes réinventés, pour dégager un certain nombre de certitudes, des hypothèses, et écarter des présupposés ou préjugés sans fondements.

Comme phénomène religieux, précise Alain Vuillemin, « le catharisme, le patarisme, le bogomilisme, le paulicianisme renvoient à des croyances qui sont difficiles à appréhender. Ces mouvements présentent des traits qui ont été empruntés à de nombreuses doctrines religieuses, les unes d’une origine chrétienne et d’autres d’une provenance perse, orientale, et centre asiatique, zoroastrienne et mazdéenne. Leur histoire s’étend aussi sur plus de dix siècles. »

Les écrits préservés, notamment le fameux « Livre secret », l’Interrogatio Iohannis, connu par une traduction latine datant du XIIe siècle, les écrits apocryphes, les chroniques historiques mais aussi les anathèmes, permettent d’approcher une doctrine originale. Alain Vuillemin distingue la doctrine initiale des doctrines dégradées de schisme en schisme et de déplacement en déplacement. Il interroge l’existence d’une doctrine dite « radicale » du bogomilisme, fondée sur un dualisme absolu. Cette doctrine, son économie et son écologie, était appuyée à un ensemble rituel connu lui par les écrits de ses adversaires.

Un chapitre est consacré aux persécutions exercées contre ces mouvements car cette histoire est celle d’une succession et d’une accumulation de drames rythmés par les procès, les synodes et conciles hostiles et les guerres, conduisant à l’éparpillement des diasporas et l’oubli des survivances.

La fin de l’ouvrage traite des résurgences littéraires et les recréations romanesques. « L’histoire de ces « bons hommes » et de ces « bons chrétiens », nous dit encore Alain Vuillemin, depuis la lointaine Arménie a donné naissance en Europe occidentale, au XXe siècle et au XXIe siècle, à un « mythe cathare » prolifique. »

Cette matière littéraire, devenue très internationale, véhicule à la fois des éléments de la doctrine unique née en Arménie, de ses adaptations et déformations au fil du temps, et une confusion favorisée par une histoire chaotique. Alain Vuillemin, par cette longue et passionnante enquête, si rigoureuse, ne lève pas complètement le mystère sur les origines, ne résout pas l’énigme même que constitue l’émergence de ce courant marginal mais influent mais, il nous donne un cadre magistral dans lequel le penser.

Elena-Brânduşa Steiciuc conclut sa préface au livre par ces mots :

« La lecture de cet ample ouvrage d’Alain Vuillemin constitue un parcours enrichissant à travers l’histoire et la littérature européenne (mais pas seulement) ayant comme guides la finesse herméneutique et le savoir d’un grand expert en histoire de la littérature et en littérature comparée. Le mythe cathare continuera de fasciner les générations de créateurs et de lecteurs, car l’homme aura toujours ce « droit de rêver » dont parlait Gaston Bachelard et qui est un des noyaux fondateurs de l’existence. »

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