
L’arbre voyageur. Un itinéraire de vie avec Ibn Arabi par Erik Sablé. Editions Almora, 43 avenue Gambetta, 75020 Paris, France.
Nous retrouvons toujours avec beaucoup de plaisir les écrits d’Erik Sablé. Familier des écrits du grand poète de l’Islam, il a choisi de nous conter la vie d’Ibn Arabi, revendiquant ainsi la subjectivité, seule en mesure de rendre compte de la dimension mystique exceptionnelle de ce voyageur des mondes intérieurs comme des terres traditionnelles. J'ai voulu, dit-il, « Imaginer de façon vivante des moments clefs dans l’existence de ce grand soufi. Construire un texte personnel autour de quelques axes qui me semblaient essentiels ».
L’érudition est ainsi mise au service d’une littérature intimiste inspirée, d’une amitié spirituelle qui emporte peu à peu le lecteur.
« Il était ivre de l’ivresse du monde. Il chevauchait à la poursuite d’une ombre, mais il ne le savait pas. L’ombre lui semblait un trésor inépuisable.
La religion aussi était une chose extérieure, un ornement, un décorum qui participait de cette vie de fêtes.
Mais un jour, ce fut la rupture. Il n’avait pas quinze ans. Brusquement, cette vie heureuse lui sembla fade, futile, illusoire. Il la rejeta brutalement dans un geste de guerrier, un coup de sabre pour se libérer de ce vêtement du monde qui l'emprisonnait. Et cet abandon fut définitif. »
Nous percevons la puissance de la métaphore comportementale. Ibn Arabi choisit la solitude d’une retraite pour amorcer son grand voyage dans le coeur de l’Esprit, voyage qui se présente comme le miroir de nos vies pour peu qu’elles puissent être dédiées à la queste de l’Absolu.
Le voyage vers l’unité essentielle, de la dualité à la non-dualité est marqué de nombreuses réalisations qui sont autant de voiles à déchirer ou écarter jusqu’à la Liberté totale.
« Les songes et les visions, souligne Erik sablé, jalonnent la vie d’Ibn Arabi. Elles accompagnent chacun de ses pas, le guident, reflètent une étape du chemin, révèlent un secret initiatique. »
Comme l’a démontré Henry Corbin, Ibn Arabi est un habitué de l’Imaginal où il puise les idées premières qu’il met en forme à travers tableaux et poésies. Le voyage d’Ibn Arabi est un voyage d’amour, de la chair à l’esprit, l’une enseignant l’autre, l’un élevant l’autre. Il fait de la vie une célébration, au sein de la relation avec les éléments de la nature comme avec cette compagne, Nizam, muse incarnant tant la beauté que la sagesse.
« C’est finalement cette « âme angélique », Nizam ou Sophia, que nous recherchons derrière les choses du monde. Chacun de nos espoirs, chacun de nos désirs, aspire secrètement à cette rencontre et pour cela les êtres du monde semblent toujours nous échapper.
Pour Ibn Arabi, cette « âme angélique » était là présente dans le visage de cette jeune fille, Nizam. Et, comme il le dit dans ses poèmes, il la retrouve derrière la lumière de la lune, l’éclat du soleil, le désert, le ciel étoilé, une clarté inconnue dans la nuit. Chaque forme de la nature est un reflet, un visage de Nizam, l’harmonie, qui elle-même est une image fugitive de l’ange présent dans les profondeurs de son être. »
Toute beauté pointe vers le Soi, tout amour terrestre tend vers l’amour absolument non-duel, vers la non-séparation.
Ce livre, plein de tendresse spirituelle, conduit le lecteur vers une forme d’intimité, tant avec Ibn Arabi qu’avec lui-même.