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Jean de l’Ours, Gargantua et le Dénicheur d’oiseaux par Bernard Sergent, Editions Arma Artis.

         C’est un travail immense, érudit, passionnant, qui intéresse particulièrement le thème de l’initiation, Gargantua étant, tout comme Ulysse ou Don Quichotte, un archétype de l’initié.

         Trois mythes fondateurs sont ici rapprochés, celui d’Amirani, caucasien, celui de Jean de l’Ours, quasi universel, celui de Gargantua, très français. Cependant le thème des géants, demi-dieux ou dieux enchaînés est très classique et méritait une enquête approfondie à la recherche de la forme la plus archaïque du mythe.

         Bernard Sergent nous présente d’abord les personnages, Amirani, Jean de l’Ours et Gargantua avant de s’interroger sur l’onomastique en jeu. Les noms eux-mêmes des personnages véhiculent en effet des informations, certaines capitales. Il distingue ensuite les composants des mythes : les géants héros - leurs naissances – leurs croissances – leurs exploits, voyages et aventures, leurs rapports à la femme et aux femmes. De nombreux symboles sont des constituants majeurs de ces mythes comme les nombres 3 et 7, le dragon, le lac souterrain, le cheval merveilleux, les pieds d’or, etc.

         Vient ensuite l’étude du calendrier et notamment de Carnaval, fête qui voit souvent défilés des géants en procession.

         Tout ceci conduit naturellement l’auteur à s’intéresser au chamanisme et au celtisme. Les pratiques chamaniques, les pouvoirs chamaniques, sont très présents dans les mythes étudiés, à travers la dévoration, les descentes et ascensions, le vol, les amours surnaturels, etc. Gargantua apparaît en lien avec une divinité celtique, le Dagda. « Non seulement, démontre-t-il, Gargantua prolonge le Dagda, mais il a réuni sur lui des traits qui, dans la tradition celtique, sont répartis sur des générations divines antérieures et postérieures. »  Par ailleurs sa solarité est affirmée. Dans la même perspective, Bernard Sergent émet une hypothèse, fort plausible, tout à fait passionnante :

         « Une fois posée l’antiquité du personnage de Gargantua dans le légendaire occidental, non seulement celtique mais lointainement pré-celtique, la question se profile d’un éventuel rapport entre ce personnage, sous la forme rituelle qu’il prit dans le domaine celtique occidental (les géants d’osier (...) dont parle en premier César) et les rites de processions de géants de l’Europe nord-occidentale et ibérique contemporaine. »

         La christianisation de nombreux rites païens ne suffit pas à masquer la parenté entre les géants d’osier antiques et les géants d’osier médiévaux, les premiers apparaissant les prototypes des seconds.

         Dans une seconde partie, tout aussi érudite, l’auteur nous entraîne sur les pas du Dénicheur d’oiseaux. Nous quittons la zone indo-européenne pour l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord. C’est Claude Lévi-Strauss qui fit connaître ce mythe présent de manière très localisée au Brésil et près des Rocheuses. Le chercheur démontra que ce mythe est l’inverse de celui de Jean de l’Ours, le dénicheur se dirigeant en altitude et Jean de l’Ours dans les profondeurs. Par ailleurs le mythe du Dénicheur d’oiseaux présente nombre de similitudes avec les mythes grecs. Bernard Sergent développe ainsi une dialectique entre les mythes eurasiatiques et les mythes américains du plus grand intérêt pour investir, encore une fois, la question chamanique et en arrière plan celle de « l’origine des dieux ».

         Il n’est pas possible de synthétiser cette investigation qui doit être étudiée patiemment. Elle conduit à la reconstitution d’une histoire mythologique à partir d’un mythe primitif dont les constituants peuvent être identifiés.

         Nous sommes bien ici au coeur des voies magiques du héros qui peuvent notamment s’interpréter en tant que vois d’immortalité par des alchimies internes, mais d’autres interprétations sont possibles, sans s’opposer les unes les autres dès lors que l’on saisit que ces systèmes complexes de métaphores emboîtées traitent simultanément de plusieurs niveaux logiques, ou niveaux de réalité, depuis les dualités grossières jusqu’au non-duel, niveaux parfois pointés par les variantes.

         La matière considérable que nous offre Bernard Sergent incite vraiment à se pencher sur des questions qui ne suscitent pas seulement l’intérêt ethnologique ou anthropologique mais  qui se révèlent éminemment initiatiques.

Arma Artis, BP 06, 26160, La Bégude de Mazenc, France.

Tag(s) : #Tradition
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