Philippe Lavastine enfin !
Tous ceux qui croisèrent Philippe Lavastine furent marqués par la rencontre avec cette personnalité peu commune. Erudit exceptionnel, d’une intuition remarquable sur les arcanes, Philippe Lavastine fut l’une des figures les plus brillantes du XXème siècle. Et oubliée.
Voilà plusieurs années que nous demandions à ceux qui l’avaient connu de témoigner. Enfin, c’est fait et Philippe Lavastine sort de l’ombre grâce à Tara Michaël qui publie aux Editions Signatura un bel hommage, que l’on pourrait dire « de réparation », à l’homme et à son enseignement sous le titre Des Védas au Christianisme. Hommage à Philippe Lavastine.
Dans sa préface, Tara Michaël se demande s’il lui reste des amis. Oui, il en reste et nous devons souhaiter que ce livre soit le point de départ de la restitution d’une oeuvre, que les nombreux enregistrements de ses conférences, souvent flamboyantes, sortent des tiroirs et que la parole se fasse écrit. Car Philippe Lavastine était un orateur. Il a laissé très peu d’écrits publiés mais une quantité de cahiers de notes remplis au jour le jour dont on ne sait s’ils ont été détruits ou s’ils demeurent perdus quelque part sous la poussière.
Les conférences de Lavastine étaient des performances initiatiques. Il évoluait en circonvolutions complexes, dérivait de digression en digression, perdait l’auditeur sans jamais se perdre pour mieux le confronter, par quelque jaillissement, à l’évidence lumineuse, à l’inattendu, à la beauté. Il fascinait. Il irritait. Les rationnels adeptes de la cause-effet linéaire ne tenaient pas longtemps face à ses discours emboîtés qui se traversaient les uns les autres. La parole qui libère est toujours contournante ou traversante, elle doit se défaire de la barrière mentale. Lavastine excellait dans cet exercice comme en témoignent ceux qui vécurent près de lui en sachant entendre.
Tara Michaël a passé deux années auprès de Lavastine. Elle fut sa secrétaire et prit en note ses réflexions, notamment sur les religions comparées. Ce sont ces notes qu’elle a organisées pour nous offrir un livre superbe.
Indianiste remarquable, Lavastine sut s’affranchir de la démarche universitaire pour puiser à la source traditionnelle. De ce fait, son enseignement dérange. C’est le propre d’une philosophie de l’éveil. Un simple extrait de ses propos sur le thème du dragon permet de comprendre que Philippe Lavastine avait parfaitement saisi l’enjeu des voies internes serpentines :
« Il est bouleversant de constater que le dragon védique, Vritra, (racine vertere) est « ce qui peut être converti », et a son analogue exact dans l’arabe galb, qui veut dire littéralement ce qui peut être retourné. Un dragon, c’est ce qui peut être retourné. Quand un dragon est retourné apparaît la plus belle princesse qui fut oncques. C’est le fier baiser : que le héros Indra ait le courage d’aller donner un baiser sur les lèvres du dragon monstrueux. La lance de saint Michel ou de saint Georges est le rayon solaire symbolisant le rayon divin de compassion. L’épreuve initiatique par excellence consiste à descendre dans les enfers et à rencontrer le dragon. (...)
Le mot clef de tout le Veda est celui-ci : somo vritrab, « en vérité Vritra était le soma », le démon contenait l’ambroisie, le mal contenait le bien suprême. Quand le serpent a été dépouillé de sa vieille peau, écorché, en langage chrétien quand le vieil homme a été dépouillé, on voit que le nouvel homme était déjà là, mais recouvert d’une peau écailleuse de serpent. C’est le mariage d’Indra avec Indrani. Indrani était d’abord une serpente, une Naginî.
Indra l’a fait passer trois fois par le moyeu de la roue de son char jusqu’à ce qu’elle soit décortiquée de trois peaux. Alors elle apparaît comme la pure déesse, la Shakti d’Indra. »
Nous insistons sur la qualité et la profondeur de ce qu’a livré Philippe Lavastine dans ses communications. Tara Michaël est restée au plus près de sa parole afin de laisser cette pensée, qui crée et qui libère, nourrir le lecteur à l’esprit disponible.
La seconde partie de l’ouvrage est une contribution de Lama Denys Teundroup qui rend compte du projet, malheureusement jamais abouti, d’un « livre idéal ». Il publie le plan du livre voulu par Lavastine sous le titre évocateur « Le baiser du dragon » et la transcription corrigée d’entretiens réalisés dans le cadre de ce projet. La encore, le lecteur en alerte saura découvrir des perles dans les liens improbables ou dans les fulgurances qui, justement, renversent.
Editions Signatura, Abbaye de Maubec, F-26200 Montélimar.