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Flamenco, Tango, Fado de Sylvie & Rémi Boyer, illustrations de Maitane R. Oruezabal. Editions La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.

https://latarente.fr/

Ce livre rassemble trois textes qui diffèrent par leur structure, leur longueur et le moment où ils furent rédigés et publiés (Tango en 2008, Fado en 2010, Flamenco en 2020). Ils furent rassemblés pour une édition espagnole en 2020 chez  Editorial Sapere Aude à Oviedo. L’édition française est augmentée d’une préface de Juan Carmona, un grand flamenquiste. Il ne s’agit pas des fruits de recherches historiques ou sociologiques mais plutôt d’instantanés, d’impressions de poètes errants tournant autour d’un secret, découvert accidentellement, pour le mettre à nu. Les textes proposés abordent, de manière plus intuitive que technique, trois arts qui explorent les profondeurs de l’être, le Flamenco, le Tango et le Fado, trois arts qui portent bien des mystères et qui préservent le lien avec notre véritable nature.

A la fois très différents et très proches, le Flamenco, le Tango et le Fado orientent vers l’intime de l’intime, vers ce qu’André Breton désignait comme le « point suprême » où se réalise ce que Carl G. Jung désigne comme « la conjonction des opposés ».

La puissance de conversion, de métanoïa, de ces trois arts, réside dans l’union qu’ils cherchent à établir entre le corps et l’esprit, écartant l’intellect et libérant l’émotion des conditionnements sociétaux. Arts populaires, le Flamenco, le Tango et le Fado ont une dimension libertaire intrinsèque qui relève de la queste initiatique.

Si Flamenco, Tango ou Fado[1] sont les âmes des corps espagnol, argentin et portugais, alors une part de ces âmes solaires nous éblouit quand l’autre, sombre, nous attire sans jamais se livrer.

Les lieux de ces trois danses[2] sont, pour une part, imaginaires, parfois « imaginals », proches de l’esprit par conséquent. Ce sont des lieux d’exil, intérieurs ou extérieurs mais aussi des lieux de révélation, dans une tension entre tradition et modernité.

Mais, diront certains, les temps de ces trois danses sont aussi inactuels, archaïques, par un biais perceptuel inadapté à la saisie du réel derrière la forme. Si Flamenco, Fado et Tango sont inactuels c’est qu’ils relèvent d’un présent permanent qui n’a pas besoin de s’actualiser.

Tous les trois célèbrent et exaltent la femme, même si c’est parfois en trompe-l'œil, selon une autre beauté, non canonique, une grâce, la sal espagnole selon Théophile Gautier, ou la saudade lusitanienne portée aujourd’hui par une pléiade de Divas qui enchantent le monde, Katia Guerreiro, Dulce Pontes, Mariza, Cristina Branco, Carminho, Ana Moura…

Théophile Gautier nous alerte par ces mots : Elles possèdent à un haut degré ce que les Espagnols appellent la sal. C’est quelque chose dont il est difficile de donner une idée en France, un composé de nonchalance et de vivacité, de ripostes hardies et de façons enfantines, une grâce, un piquant, un ragoût, comme disent les peintres, qui peut se rencontrer en dehors de la beauté, et qu’on lui préfère souvent. Ainsi, l’on dit en Espagne à une femme : « que vous êtes salée, salada ! » Nul compliment ne vaut celui-là.[3]

« Para hacer lucir a la mujer ». C’est par cette phrase que l’on signifie que le Tango a pour fonction de révéler la femme, de célébrer la féminité.

Flamenco, Tango, Fado sont les véhicules de la grâce. Ils touchent l’être au plus profond, au plus inattendu. Nous parlerons d’une « étrange profondeur », d’une « douloureuse joie », expressions qui évoquent la mystique. Tous les trois relèguent la langue dans le tiroir des outils incapables tant le mot est inapte à rendre compte de cet ineffable-là.

Dans le Flamenco, le Fado, le Tango, le rythme est essentiel. Il induit la transe, prépare l’extase. Le rythme est aussi silence. C’est un cheval fougueux qui permet de traverser les formes et de se rapprocher, dans le silence, de sa propre essence.

Le Fado et le Flamenco sont associés à la tauromachie, soit à la confrontation avec la mort, avec la puissance archaïque. Avec ce murmure tumultueux de la danse et du chant, non seulement les dieux peuvent être domptés mais chacun peut devenir dieu, s’engendrer comme immortel.

Flamenco, Tango et Fado sont des arts de vivre intensément en nourrissant l’alliance entre Thanatos et Eros mais en évitant les pièges de Thanatéros. Les métaphysiques traditionnelles savent évoquer ce pouvoir, plus exactement la puissance suspendue qui anime ces trois arts. Le véritable lieu-état de conscience dans lesquels ils exercent est au carrefour de l’immanent et du transcendant.

 

 

 

 

[1] Respectivement inscrits au Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité en 2010, 2009, 2011.

[2] Le Fado fut d’abord dansé. La danse jugée trop érotique, comme le Tango, fut rapidement interdite. Il ne reste que quelques dessins de danse de Fado mais, il est souvent aisé de danser un tango sur une musique de Fado.

[3] Gautier, Théophile, Voyage en Espagne, Gallimard, collection Folio, 1981, Paris.

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