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Les leurres de Mâyâ. Science et tradition du Cachemire de Jean Papin, Editions Almora.
Ce livre synthétique condense, sous la forme de dialogues, la pensée de l’auteur, sanskritiste, grand connaisseur des traditions de l’Inde et notamment du shivaïsme non-dualiste du Cachemire.
Jean Papin invite tout d’abord à épuiser le langage. Si le mot n’est pas l’objet désigné par le mot, une discipline rigoureuse s’impose pour ne pas se laisse prendre dans les filets des conditionnements que les mots tissent à notre insu. Il met ensuite en garde contre les concepts qui catégorisent, séparent, figent ce qui est processus ou continuité.
Tout le livre conduit à une traversée des formes y compris les formes traditionnelles. Jean Papin détruit sans hésitation des présupposés, courants dans les milieux spirituels, dont la toxicité n’est souvent pas remarquée ou remarquée beaucoup trop tard. Exemple avec la question de la transmission « effective » :
« Nous n’avons aucun besoin d’approfondir une tradition pour nous rendre compte qu’elle vient du passé et qu’elle détermine entièrement nos expériences. C’est une évidence que vous refusez d’admettre car elle dérange les conventions. Et nous n’avons pas plus besoin d’un appui traditionnel et initiatique pour traverser des expériences décisives. Les expériences décisives ne proviennent jamais de la transmission. »
Les dialogues tendent à dissoudre le questionnement. Il s’agit d’atteindre et d’accepter ce vrai silence où la question disparaît sans pour autant qu’une réponse soit énoncée. La non-séparation est la seule réponse. Prendre ce qui se présente, vulgarité comprise, et remonter à la source, « Je suis ».
Un pan intéressant de l’ouvrage réside dans les analogies proposées par l’auteur entre métaphysiques non-dualistes et sciences, notamment quantiques. Le jeu de miroirs entre traditions non-dualistes et théories quantiques n’est pas nécessairement pertinent du point de vue d’une pensée qui se voudrait rationnelle, il l’est davantage du point de vue d’une poésie opératoire qui conduit à la saisie du Réel et à la reconnaissance de la nature absolument inclusive de la conscience.
Vient l’essentiel, à savoir la traversée de l’apparaître et la reconnaissance de sa propre nature originelle et ultime, permanente :
« Ainsi on se prend pour son corps, pour son intellect, pour un médecin, ou un cordonnier, enfin pour son personnage, celui qui a une histoire et qui se prend au sérieux, qui a une « personnalité » et un libre arbitre pourtant négligeables. Dans ce sens, avoir une personnalité, c’est l’affaire des autres s’ils en décident ainsi ; pas du Moi. Car le Moi n’a pas d’histoire. Il est sans cause. C’est le centre vide, le moyeu creux de la roue à partir duquel tout rayonne, s’organise et fonctionne. Sans lui, rien ne tient, rien ne s’ordonne, rien n’existe. Il est la cohérence même. Et sans la roue, c’est-à-dire sans le monde, on ne peut le cerner ; il devient le Brahman, le Soi, neutre et indéterminé. Ainsi, sans ce corps personnel, sans ce mode de manifestation privilégié et individuel, le vrai Moi resterait à jamais hors de portée, dans son mode qui lui est impersonnel. (…) Maintenant, si vous tenez à employer des termes sanskrits, on peut dire que l’Atman, le Moi, la conscience la plus pure et la plus aigüe du « je suis » n’est autre que le Soi, le Brahman, mais appréhendé individuellement. Tout seul, dans la conversation, au niveau du raisonnement, Brahman reste un concept : « cela », le Soi, le « machin », comme vous voudrez. Le Moi, par contre, peut être concrètement saisi, tout simplement parce que « je suis » ! »
Jean Papin utilise les paradoxes avec justesse, sans tomber dans le procédé, pour suspendre le jugement et laisser libre la place pour l’être. Il ne laisse aucune possibilité à l’interlocuteur au lecteur de se laisser aller, condition nécessaire si l’on veut que le non faire ne soit pas que paresse mais, réellement, « fasse néant ».
Editions Almora, 51 rue Orfila, 75020 Paris, France.