Patrick McGoohan
L’ultime évasion
Le prisonnier le plus célèbre du XXème siècle s’est évadé définitivement de ce monde ! En nous quittant au tout début de cette année, à quatre vingt ans, Patrick McGoohan scelle une véritable légende qui n’a pas fini de nous surprendre.
Le Prisonnier, chef d’oeuvre télévisionnaire des années soixante, est devenu un véritable mythe donnant lieu à un grand nombre d’écrits et de travaux universitaires dans le monde. Nous avions dit, il y a plusieurs années, toute la force de cette métaphore[1] déroutante, aussi révélatrice dans le domaine des voies d’éveil que dans celui des chemins révolutionnaires car l’homme conscient n’a de cesse de se libérer, que ce soit de l’oppression, de l’ignorance, de la bêtise étatique, de la régression par la consommation ou de l’illusion moïque.
Le Prisonnier a inauguré de la manière la plus étonnante et la plus brillante qui soit de nouvelles modalités d’interrogation sur la vie, l’être et, la liberté, ces trois mots étant en essence synonymes. D’autres oeuvres visionnaires, comme Matrix des frères Wachowski ou Avallon de Oshi, ont depuis bousculé les réalités mouvantes pour tenter d’approcher le mystère du Réel dont Gilles Deleuze disait que c’était le seul véritable inconscient. Aucunes de ces oeuvres, aussi talentueuses soient-elles, n’ont développé la puissance paradoxale de la série dont Patrick McGoohan, rappelons-le, fut à la fois le concepteur, le réalisateur, le metteur en scène, le héros et... la victime puisque le succès de la série fut aussi important que l’incompréhension des spectateurs face à une fin « surréaliste » au sens où l’entendait André Breton, et non dans un sens commun devenu vulgaire à force d’emplois journalistiques hasardeux.
Le Prisonnier fut conçu comme « une énigme allégorique dont chacun devait donner sa propre interprétation » expliqua Patrick McGoohan[2]. Cinquante ans après l’apparition de cette improbable série dans le monde de l’image, elle demeure un pont entre les générations et un fil invisible qui relie entre eux tous ceux qui, rebelles, ne veulent pas accepter d’être réduits par qui que ce soit, pour quoi que ce soit.
Mais Patrick McGoohan ne fut pas que le héros des dix-sept épisodes de la série la plus envoûtante de la télévision. Il fut auparavant le personnage central de la série Danger Man, ou Destination Danger, qui lui avait déjà apporté la notoriété. Lauréat de deux Emmy Awards, équivalent des Oscars pour la télévision, McGoohan a joué également pour le cinéma : L'évadé d'Alcatraz avec Clint Eastwood en 1979, Braveheart de Mel Gibson ou encore Le droit de tuer? avec Samuel L. Jackson en 1996. Il aura finalement incarné Le Prisonnier toute sa vie, sans jamais pouvoir échapper à ce rôle hors norme. C’est sans doute parce que nous sommes tous des prisonniers. La métaphore télévisionnaire continuera dans l’avenir à nous renvoyer aux combats essentiels pour la liberté.
Rémi Boyer
« Je suis un homme libre ET je suis un prisonnier... qui combat avec beaucoup de bonheur. Et cela est sans fin. Chaque jour est un commencement et, comme on dit, be seeing you. »
Patrick McGoohan