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Jacob Boehme

     

         Jacob Boehme est le second maître de Louis-Claude de Saint-Martin, après Martines de Pasqually. C’est Boehme qui permit à Saint-Martin d’intérioriser la théurgie et de saisir l’initiation comme une simplification, entendons un retour à l’Un.

         Cette édition comporte deux études importantes de Nicolas Berdiaeff, la première sur l’« Ungrund » et la liberté , la seconde sur La doctrine de la Sophia et de l’Androgyne.

         Nicolas Berdiaeff donne d’emblée à Jacob Boehme la place qui lui revient :

         « Jacob Böhme doit être reconnu comme l’un des plus grands gnostiques chrétiens. J’emploie ce mot non dans le sens des hérétiques des premiers siècles du christianisme mais bien pour désigner un savoir fondé sur la révélation et utilisant plutôt des mythes et des symboles que des concepts. C’est un savoir contemplatif bien plus que discursif. Telle est la philosophie religieuse ou théosophie. »

         En quelques lignes, Nicolas Berdiaeff cerne l’enjeu de la gnose et l’importance de l’imaginal dans le processus initiatique. Il précise que, chez Boehme, il n’y a pas de sources ou d’influences autres que l’interne. Nous ne sommes pas dans l’imitation initiatique, mais bien dans l’invention, dans ce qui se crée à travers nous dès lors que nous quittons le monde des concepts pour le silence. Boehme est passé avec aisance, « naturellement » serions nous tentés de dire, à travers les formes traditionnelles ou religieuses pour se laisser saisir par l’Essence ou par le Saint Esprit qui, chez lui, s’apparente à la liberté absolue.

         « Par mes propres forces, dit Boehme, je suis un homme aussi aveugle qu’un autre et ne puis rien, mais par l’Esprit de Dieu, mon esprit inné pénètre tout mais pas toujours avec assez de persévérance ; lorsque l’Esprit de l’Amour divin traverse mon esprit, alors la créature animale et la divinité ne forment qu’un seul être, une seule conception et une seule lumière ! »

         Jacob Boehme tend vers un non-dualisme qui exprime sa propre expérience de la conscience non-duelle. Ainsi la nature et l’esprit sont identiques. L’âme humaine contient aussi bien le ciel que l’enfer. Le monde spirituel fonde le monde matériel, la matière est le chemin vers l’Esprit. « Le monde entier, extérieur et visible dit-il, avec son essence, n’est qu’un signe ou une apparence de celui qui est intérieur et spirituel ; tout ce qui est intérieur et latent a un caractère extérieur correspondant. » La connaissance ne s’oppose donc pas à l’existence mais vient l’habiter.

         Comme d’autres penseurs majeurs, Jacob Boehme s’est confronté à la question du mal. Son travail dans ce domaine influencera l’idéalisme allemand. Boehme considère que le bien ne peut se révéler sans le mal, l’esprit sans la matière. Cette démarche le conduira à concevoir l’Ungrund, l’Indéterminé, une liberté originelle absolue qui permet à la conscience de tout expérimenter y compris l’obscurcissement du mal. Nous ne sommes pas éloignés de la doctrine de la Reconnaissance d’Uptaladeva. « La doctrine de l’Indéterminé et de la Liberté, précise Nicolas Berdiaeff, est une tentative téméraire de comprendre la création du monde à partir de la vie intérieure de la Divinité. »

         Jacob Boehme est également un auteur majeur et incontournable car il fonde véritablement les doctrines sophiologiques en énonçant la première doctrine dans l’histoire de la pensée chrétienne consacrée à Sophia, la première mais aussi, selon Berdiaeff, la plus remarquable. Elle s’articule tant avec la doctrine de l’androgyne conçue comme « intégrité initiale de l’homme » que « La sophianité est proprement l’androgynie. ». Cette doctrine de la sophianité évoque pour nous aujourd’hui l’immaculée conception, c’est-à-dire la conscience vierge de tout concept, de toute limite, de toute condition, qui est aussi Sagesse divine. Cette Sophia demeure en germe au sein de l’homme. L’être intègre, que représente le Christ, complet, qui a retrouvé son état primordial, naturel, est androgyne.

         Pour Boehme, explique Nicolas Berdiaeff, « Le sens mystique de l’amour consiste à chercher l’image androgyne, c’est-à-dire l’intégrité, qui est inaccessible dans les limites de l’organisation psychophysique et close de l’homme et qui suppose le dépassement de cette dernière. L’image androgyne de l’homme n’a aucune correspondance physique sur la terre, dans nos conditions naturelles. L’hermaphroditisme est une caricature repoussante et maladive, alors que le mythe de l’androgyne est l’un des plus profonds et des plus anciens de l’humanité. Il est justifié par une interprétation plus fouillée et plus ésotérique de la Genèse, encore qu’il soit ignoré des principaux enseignements théologiques. On peut trouver la théorie de l’androgyne dans la Cabbale. Les théologies qui redoutent la doctrine de l’androgyne et qui la nient sont celles qui nient l’Homme Céleste, Adam-Cadmon, par suite de leur caractère exotérique, et qui ne parlent que de l’homme terrestre naturel, empirique, c’est-à-dire qui ne reconnaissent que l’anthropologie vétéro-testamentaire, construite rétrospectivement à partir de la conception du péché. Or Boehme découvrait l’anthropologie céleste et séraphique, l’origine céleste de l’homme. Son anthropologie est liée à la christologie ; sa christologie et sa mariologie sont fonction de sa doctrine sur la Sophia et l’androgyne. »

         On reconnaît dans l’androgynie et la sophianité de Boehme des traits caractéristiques de la kabbale. Jacob Boehme peut être approché comme un grand mystique, il fut aussi un opératif. N’oublions pas que des alchimistes, comme André Savoret, ont travaillé au laboratoire à partir des ouvrages de Jacob Boehme. Certains de ses enseignements ne prennent même tout leur sens et toute leur force que dans le cadre opératif de l’alchimie, externe ou interne.

Editions Arma Artis, BP 3, 26160 La Bégude de Mazenc, France.

Les Editions Arma Artis mettent de nouveau à la disposition des chercheurs l’un des textes majeurs de l’œuvre de Jacob Boehme, Mysterium Magnum. Il faut remercier l’éditeur, il n’est jamais facile de publier un tel livre qui compte mille deux cents pages.
Tag(s) : #Hermétisme
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