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Départ et retour du Fils. Le messianisme de Raymond Abellio par Eric Coulon. Editions La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.
Eric Coulon a choisi de débuter son ouvrage par une longue épigraphe extraite du roman de Raymond Abellio intitulé Les yeux d’Ezechiel sont ouverts, publié en 1949, que nous reproduisons ici en raison de son importance :
« Ce que les prêtres nomment péché originel, Dieu l’appelle éveil de l’homme à la dure lumière divine.
Ce que les prêtres nomment tentation, Dieu l’appelle présence de la lumière.
Ce que les prêtres nomment serpent, Dieu l’appelle intelligence.
Ce que les prêtres nomment faute, Dieu l’appelle acte.
Ce que les prêtres nomment chute, Dieu l’appelle progrès.
Ce que les prêtres nomment soumission au démon, Dieu l’appelle exaltante conquête de la conscience.
Ce que les prêtres appellent descente aux enfers, Dieu l’appelle passage dans la matière noire et fertile.
Ce que les prêtres nomment condamnation, Dieu l’appelle retard en vue d’une plus haute montée, éloignement du fils prodigue.
Ce que les prêtres nomment pardon, Dieu l’appelle accomplissement, retour et installation du fils prodigue à la première place.
Ce que les prêtres nomment culpabilité, Dieu l’appelle mouvement.
Ce que les prêtres nomment innocence, Dieu l’appelle repos dans l’étendue.
Ce que les prêtres nomment Lucifer, ou chef des diables, Dieu l’appelle créature suprêmement activante et pourtant immobile.
Ce que les prêtres nomment tourments éternels, Dieu l’appelle aventure suprême de la créature suprêmement activante, destruction instantanée de l’acte en dehors du temps et de l’histoire.
Ce que les prêtres nomment liberté, il l’appelle conscience du destin.
Et sa propre liberté, il l’appelle acceptation de sa dualité manifestée, mystère suprême de son propre antagonisme, de son déchirement entre la clémence et la rigueur.
Ce que les prêtres nomment harmonie du monde, il l’appelle balance des antagonismes, et à chaque instant il détruit l’équilibre de la balance.
Ce que les prêtres nomment vie, il l’appelle élan ; mort, il l’appelle saut.
Il appelle peur la soumission des dévots, et connaissance la soumission des saints.
Mais il n’y a encore jamais eu de saints sur la terre.
Il appelle deuxième éveil de l’homme, ou naissance du deuxième jour, la révolte des athées et la victoire de Prométhée ;
et troisième éveil, ou naissance du troisième jour, leur conversion.
Mais personne ne s’est encore vraiment converti.
Ce que les hommes appellent descendre, Dieu l’appelle avancer.
C’est le jeu de l’homme et du destin. »
Véritable manifeste des « trois éveils », ce texte fondamental et fondateur du messianisme abellien mérite davantage qu’une lecture, il doit être médité et établi opérativement au quotidien.
Cette épigraphe, « nous semble exposer de la façon la plus explicite et la plus conséquente, mais aussi la plus vivante, le problème de Dieu ainsi que celui du rapport de l’homme avec Dieu, écrit Eric Coulon. Ce passage, dense et lyrique, fait à nos yeux office de condensé littéraire de la théologie défendue par Abellio et pose sans détour le caractère métaphysique de sa vision, par-delà confessions, morales et considérations psycho-sociales. »
« Si nous avons souhaité marquer ainsi, dès l’origine, notre étude du messianisme abellien (…), poursuit-il, c’est parce qu’il y est annoncé le « départ » et le « retour » du Fils, double mouvement fondamental dans toute l’architecture et la dynamique de la pensée d’Abellio, double orientation dont nous avons décidé de mettre à jour le sens et les enjeux. »
L’Absolu est entendu chez Raymond Abellio, dans ce qu’il considéra comme une théologie, « comme raison de l’être et du devenir ». Nous nous souviendrons de La Structure Absolue, publié en 1965, un ouvrage souvent incompris car il n’est pas un essai intellectuel mais une voie à parcourir. Ce parcours, départ et retour du Fils, Eric Coulon se propose de nous y conduire pour « découvrir ou redécouvrir « le divin en amont de toute religion constituée et de toute conception préformée de Dieu, ce qui implique que sa théologie peut être appréhendée comme le fruit d’une approche et d’une pratique phénoménologiques de l’expérience religieuse dont la conséquence (…) est l’accès à une dimension primordiale et absolument transcendante du divin. »
Parmi ce qui caractérise la pensée de Raymond Abellio, il convient de retenir le souci permanent d’échapper aux concepts non issus de l’expérience directe, aux commentaires, aux gloses, aux dogmatismes, à tout ce qui fige ce qui est processus, à tout ce qui fige la vie. Pour Abellio, la Tradition, qu’il veut « désocculter » par l’identification de clés, n’est pas un donné immuable et définitif.
« Ce qu’il faut retenir, précise Eric Coulon, c’est que le processus de « désoccultation » de la Tradition, dont le fruit est la gnose, est bien un processus génétique, mais c’est aussi une épreuve individuelle opérative s’accomplissant entre l’être, la conscience et le message primordial qui contient cette Tradition, et c’est, enfin, une démarche globale et intégrale qui a lieu en amont de toutes les traditions particulières, celles-ci, situées en aval, devenant dès lors de simples champs pour des exercices d’« illustration » et d’« application » de la gnose. »
Le Christ, très présent chez Abellio, est pour lui un principe métaphysique, commencement, chemin et finalité. Dès lors, le messianisme abellien s’impose comme atemporel et ahistorique, une science et un art du retournement vers la source. Il n’est pas éloigné de la pensée de Maître Eckhart et ainsi des grandes métaphysiques non-dualistes.
Dès lors, l’ouvrage d’Eric Coulon, très érudit, mais d’une grande clarté d’écriture, devient incontournable, non seulement pour explorer l’œuvre considérable de Raymond Abellio, mais aussi pour s’affranchir des formes, traverser les images, les temps…, approcher cette structure absolue, par essence insaisissable mais connaissable en l’intimité spirituelle.
Diplômé de philosophie, Eric Coulon est un grand spécialiste de la pensée et de l’œuvre de Raymond Abellio qu’il étudie depuis l’âge de vingt ans. Dès 2004, il publia Rendez-vous avec la connaissance. Essai sur la pensée de Raymond Abellio aux Editions Le Manuscrit. Il est le fondateur et l’un des piliers de l’ARARE, Association Raymond Abellio de Recherches et d’Etudes qui assure la promotion de l’œuvre et de la pensée de Raymond Abellio et organise chaque année les Rencontres Raymond Abellio, rencontres thématiques particulièrement intéressantes. Les prochaines rencontres se tiendront à Toulouse les 13 et 14 septembre 2025.
https://rencontres-abellio.net/
En 2019, Eric Coulon a fondé l’Université Libre de la Connaissance.
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