
Les trois visages de l’amour, Eros, Philia, Agape de Michel Fromaget. Editions Le Mercure Dauphinois, 4 rue de Paris, 38000 Grenoble, France.
http://www.lemercuredauphinois.fr/
Ce nouveau livre de Michel Fromaget, anthropologue et Maître de conférences honoraire à l’Université de Caen, rassemble plusieurs essais passionnants que l’on peut inscrire globalement dans le cadre de l’anthropologie de l’imaginaire et de la transdisciplinarité. La variété des thèmes traités met en évidence une permanence, celle du paradigme de l’anthropologique ternaire. Il est ainsi question, parmi d’autres sujets, de « Bonne mort et spiritualité », de « L’au-delà, ici et maintenant. Essai sur la mort dans la pensée de Maurice Zundel », « de l’émerveillement et de la joie sans cause », de « Synchronicité et providence », de « trois regards sur l’inceste », et des « cadavres extraordinaires », plongée étonnante dans la thanatologie mystique.
L’ouvrage s’ouvre sur les trois hauteurs de l’amour, Eros, Philia, Agape ou Cupido, Amor, Caritas et une invitation à découvrir les distinctions de l’amour que les philosophies antiques nous proposent pour comprendre ce que nous désignons à peu près comme amour charnel, amour sentimental et amour spirituel. Michel Fromaget montre aussi les difficultés des philosophes modernes, comme Luc Ferry, à comprendre de quoi parlait leurs aînés car ils sont le plus souvent incapables de saisir l’esprit, enfermés dans une vision très binaire.
« Or donc, nous dit Michel Fromaget, le propre de l’anthropologie ternaire est d’affirmer que l’être de l’homme est, ou peut-être, tissé d’une troisième substance, aussi différente de celle de l’âme, que la substance de l’âme elle-même – celle des idées et des pensées – est différente de celle du corps, de celle des os et des muscles. Cette troisième dimension est l’esprit. L’esprit est aussi réel et concret que l’âme et le corps. Et sans eux, il ne peut ici-bas ni exister, ni se manifester. Car, ainsi que le soulignait saint Justin Martyr au IIème siècle, à la suite d’une longue tradition préalable : « Le corps est donc le lieu de l’âme, comme l’âme est le lieu de l’esprit » (Fragments, 10). »
Michel Fromaget note que l’amour des corps, charnel, et l’amour des âmes, psychique, « concourent tous deux à la sauvegarde de la personne », à sa survie, quand l’amour spirituel recherche l’accomplissement de l’être humain, son achèvement. Pourtant, il ne saurait y avoir de séparation, encore moins d’opposition, entre ces trois amours tout comme corps, âme et esprit, malgré des fonctions différentes, ne sont pas séparables. Michel Fromaget, contre le pathos, invite à l’ethos, pour favoriser le réenchantement du monde.
Cette anthropologie ternaire offre un cadre et une méthode aux investigations de l’auteur sur les différents thèmes abordés. L’érudition de Michel Fromaget, mais aussi sa clarté, permettent de s’approprier des dialectiques complexes non dans un seul souci, d’ailleurs stérile, d’intellectualité, mais bien pour développer un art de vivre et de bien mourir qui nous fait cruellement défaut, un art qu’il qualifiera avec Louis Lavelle d’enfantin. Il n’hésitera pas, afin de laisser venir les bonnes questions, à s’entretenir avec un chat au sujet de la spiritualité animale, chat dont la sagacité conduit Michel Fromaget à toujours plus de précision.
« Car la logique du vieil argument : « Seul le semblable voit le semblable » est intemporelle, rappelle Michel Fromaget. Si donc tous les animaux réagissent à la spiritualité d’un homme, c’est qu’ils peuvent la percevoir. Et s’ils la perçoivent, ils ne le peuvent certainement qu’à la faveur de leur propre esprit « en actes ». En effet, nul sans corps ne peut voir de corps, sans âme voir d’âme, sans esprit voir d’esprit. C’est là un des axiomes fondamentaux de l’anthropologie spirituelle.
Ainsi voyez-vous que cette anthropologie, bien que la Bible ne parle pas explicitement de l’esprit des animaux, ne manque pas de raisons de croire et d’espérer qu’il existe bel et bien. »
L’ensemble de ce livre important et profond, multiple en ses entrées, concourt à un unique objectif, « retrouver le sens tragique de la vie », inviter à explorer le Mystère, approcher « notre plus grande liberté intérieure », se libérer définitivement.