
Absinthe & Cocaïne par Aleister Crowley. Editions de Paris – Max Chaleil, 54 rue des Saints-Pères, 75007 Paris.
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Aleister Crowley (1875 – 1947) est surtout connu pour ses travaux dans le domaine de l’occultisme. Il a démontré cependant qu’il était aussi un excellent dramaturge et un poète. Ce petit livre rassemble pour la première fois en français des textes variés publiés dans les années 1910 à 1920, dans plusieurs revues dont Vanity Fair ou The international. Ces textes présentent d’autres facettes de la personnalité si complexe d’Aleister Crowley.
Les deux textes les plus intéressants traitent des paradis artificiels et donnent le titre à l’ouvrage, Absinthe – La déesse verte d’une part, Cocaïne d’autre part.
« Certes, j’ai déjà beaucoup écrit pour rendre clairement une vanité pitoyable : se peut-il que l’opalescence de l’absinthe ait un lien occulte avec ce mystère de l’arc-en-ciel ? Car, sans doute, un verre insinue indéfinissablement et subtilement le buveur dans la chambre secrète de la Beauté, attise ses pensées jusqu’à l’extase, ajuste son point de vue à celui de l’artiste, au moins dans la mesure où il est capable de tisser pour sa seule fantaisie une robe de gala à l’étoffe aussi colorée que l’âme d’Aphrodite.
Ô Beauté ! Depuis longtemps je t’aime, longtemps je t’ai poursuivi, toi l’insaisissable, toi intangible ! Et voilà ! Tu m’enveloppes nuit et jour dans les bras d’un gracieux, luxueux et chatoyant silence. »
A propos de la cocaïne :
« A l’un, la drogue peut apporter de la vivacité, à un autre langueur ; à l’un force créatrice, à l’autre énergie inlassable ; à l’un glamour, et à l’autre enfin, convoitise. Mais chacun à sa manière est heureux. Pensez-y ! – C’est si simple et si transcendantal ! L’homme est heureux !
J’ai voyagé dans tous les coins du globe, et j’ai vu de telles merveilles de la nature que mon stylo crie encore quand j’essaye de les écrire. J’ai vu beaucoup de miracles du génie de l’homme, mais je n’ai jamais vu une merveille comme celle-ci. »
Aleister Crowley s’attaque au prohibitionnisme et demande aux autorités de faire confiance à la population, capable, selon lui, de s’autoréguler malgré quelques dérives marginales. Il met en avant tout ce que l’humanité doit aux drogues, notamment la créativité de nombre d’artistes et auteurs. Il le démontre avec un texte opiacé, Aux pieds de Notre-Dame des Ténèbres.
« Maintenant, le bleu du crépuscule vient au milieu du bruissement des feuilles. Les oiseaux, fatigués de voler, envoient leurs plaintes au ciel, avant de mettre leur tête sous leurs ailes, et la mer, la grande sauvage, avec de longs gémissements, écrase contre les roches ses hautes vagues qui se cabrent.
Le soleil s’est caché, tachant l’horizon d’une teinte sanglante. C’est l’heure du mirage !
Mélancolique et lent, enveloppé de mille voiles sombres, je marche sur la rive, et j’écoute l’éternel gémissement des eaux et le léger chant de la brise. L’herbe grasse du petit bois près de là, lavée par la rosée (et si tendrement verte !), me demande de la piétiner avec mes pieds nus.
Vivement, j’enlève mes sandales, et ainsi, debout dans le vert humide, enveloppé dans mes voiles, je pense à moi-même comme un grand lys noir, né d’une baguette magique. »
Nous trouverons aussi dans ce recueil quelques haïkus, un texte humoristique intitulé Sur la gestion des blondes, qui n’épargne ni les blondes ni les brunes, une critique du cinéma de mauvaise qualité et quelques autres surprises.
La pensée d’Aleister Crowley demeure étonnamment pertinente pour notre époque à hauts risques.