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Ce n’est pas un livre de plus sur la Shoah. Ce n’est pas seulement un livre pour se « souvenir » ou seulement pour éviter que cela se reproduise (qui pense à défendre les tibétains aujourd’hui ?). C’est une méditation sur ce qui demeure quand tout s’écroule, dieu, l’environnement et le moi. Quatre petits bouts de pain écrit par Magda Hollander-Lafon, chez Albin Michel est une trace indélébile d’une rare puissance, la trace de l’être, écrite au sang de l’essence.

Magda Hollander-Lafon, juive hongroise, a seize ans quand elle est happée dans les camps de l’horreur en 1944. Sa famille sera décimée. Si la joie est une sagesse particulière, c’est au cœur même de l’impensable que Magda l’a accueillie en elle dans la renaissance permanente qui transcende la mort permanente. Echappée du cauchemar de Mengele, ses paroles sont essentielles, directes. Elles ne laissent aucune chance à la mondanité.

« Mes pieds ont le poids d’une vie. Je les ai tant de fois suppliés de ne pas me lâcher. Ils ont traversé quatre saisons d’un ciel gris, oublié.

Nos corps marchent en dehors de nous, et des milliers de pieds s’efforcent d’avancer contre toute raison. Il vaut mieux ne pas savoir pourquoi, ni vers quel destin ils nous traînent. Nous sommes déjà sûres que s’ils refusent de marcher, d’autres pieds, chaussés, de bottes rutilantes, sont prêts à nous achever. (…)

Le soleil devait frissonner devant ce spectacle. Ce jour-là, j’ai juré de vouloir rester en vie. Pour dire aux hommes qui oublient de rester vigilants. »

Certes, son propos pose la question de l’humanité. Qu’est-ce donc que cet homme, capable d’organiser la terreur afin de rationaliser l’élimination d’une part de lui-même ? Mais, plutôt que de répondre, elle écarte finalement la question pour éclairer ce qui constitue la beauté même de l’humanité, sa capacité de transcender ce qu’il y a de plus obscur en lui, de déceler et révéler la lumière au sein même des ténèbres.

« A Birkenau, une mourante m’a fait signe : ouvrant sa main qui contenait quatre petits bouts de pain moisi, d’une voix à peine audible, elle m’a dit : « Prends. Tu es jeune, tu dois vivre pour témoigner de ce qui se passe ici. Tu dois le dire pour que cela n’arrive plus jamais dans le monde. » J’ai pris ces quatre petits bouts de pain, je les ai mangés devant elle. J’ai lu dans son regard à la fois la bonté et l’abandon. J’étais très jeune, je me suis sentie dépassée par ce geste et par la charge qu’il sous-tendait.

J’ai longtemps oublié cet événement.

En 1978, Darquier de Pellepoix a dit : « A Auschwitz, on n’a gazé que des poux. » La perversion de cette parole m’a révoltée et a fait remonter en moi la mémoire du geste de cette femme. J’ai revu son visage. Je ne pouvais plus me taire. »

Cette « résilience » est spirituelle. L’effroi a conduit Magda à se rapprocher d’elle-même, à abandonner toute construction, à se rendre nue à ce qui est.

« La porte de la connaissance s’est entrouverte lorsque j’ai consenti à m’écouter, à m’entendre, à me laisser enseigner par Celui qui me tend toujours la main. Chacun de nous est unique, incomparable ; d’où vient que nous ne cessons de comparer l’incomparable ? Nous avons beaucoup d’illusions sur nous-mêmes ; d’où vient que nous nous efforçons de devenir ces illusions que nous ne serons jamais ? »

Cette voie du particulier qui conduit tant à soi-même qu’à l’autre, peu importe quels habits spirituels ou culturels elle revêt.

« La naissance à nous-mêmes se fait dans la sagesse du temps. Ce noyau, unique, sacré en nous, ne cesse de nous travailler en liberté. Il oriente notre croissance morale et spirituelle. C’est de cette source fragile, vulnérable, soumise aux intempéries de ka vie, que nous avons à choisir de nous lever. »

Magada Hollander-Lafon a su faire de la Shoah, situation à l’extrême de l’extrême, une voie d’éveil.

Editions Albin Michel, 22 rue Huyghens, 75014 Paris.

Tag(s) : #Spiritualité et société
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