Imaginaire et psychanalyse des légendes maçonniques d’Hiram à Dark Vador de Jean-Luc Maxence et Frédéric Vincent, Editions Dervy.
La psychanalyse freudienne est inapte à saisir les enjeux de l’initiation comme l’avait perçu avant tout le monde René Guénon. L’approche des deux auteurs est jungienne. On sait l’œuvre de Jung, quand elle n’est pas réduite par l’université ou vilipendée par des freudiens et lacaniens étroits et sectaires, très proche de la pensée traditionnelle. Jung fut membre d’une société initiatique et toute son œuvre est marquée de cette orientation dont on trouve une expression libre dans son « Livre rouge ».
Les auteurs croisent deux regards, celui de l’anthropologie avec Frédéric Vincent, celui de la psychanalyse jungienne avec Jean-Luc Maxence pour étudier, expliquer, les légendes maçonniques les plus courantes du Rite Ecossais Ancien et Accepté, du Rite Français, du Régime Ecossais Rectifié et du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm. Pour cela, ils se placent sous le signe du groupe d’Eranos qui a rassemblé entre autres, Jung, Henri Corbin et Gilbert Durand, ces deux derniers étant d’ailleurs membres de l’ordre maçonnique :
« Ouverture analytique et mythanalyse… Grâce à ces deux démarches, sur bien des aspects complémentaires, il est question de montrer la manière dont les légendes maçonniques véhiculent des mythèmes qui permettent à la fois de structurer la psyché et de mieux construire la vie sociale. Dans la continuité des travaux de Carl Gustav Jung et de Gilbert Durand, il faut insister sur le fait que le mythe est un produit de l’appareil psychique de l’homme et qu’il répond de la façon la plus adéquate qui soit aux problématiques humaines les plus fondamentales. (…)
Ainsi, les légendes maçonniques doivent être comprises comme les outils psychosociaux indispensables qui rendent possible toute résolution de conflits ou de problématiques existentiels. Il s’agit pour le maçon d’aller au-delà d’une rationalisation stérile des légendes maçonniques afin d’accéder à une véritable prescience du fonctionnement psychique » qui nous dit l’attitude à adopter face aux maux les plus terribles. Hiram est la figure mythologique centrale des rituels maçonniques et révèle l’exemplarité devant la mort (résolution psychique) mais aussi devant la fourberie des trois mauvais compagnons (résolution sociale).
Les légendes maçonniques exploitent de nombreux mythèmes qui offrent un panorama des postures psychosociales les plus en adéquation avec l’ensemble des problématiques humaines. L’homme incomplet jeté dans l’absurdité et la contingence trouve sa raison d’être dans la beauté des mythes et se régénère en permanence à la mesure de leur réactualisation dans les différentes phases de l’histoire de l’humanité. »
La dimension véritablement initiatique du mythe, véhicule des praxis qui libèrent l’être de l’histoire personnelle et collective, est donc absente du propos des auteurs au bénéfice d’une approche psychosociale, certes intéressante, mais terriblement réductrice alors même que le livre regorge d’intuitions qui relèvent clairement des voies d’éveil.
Contrairement à ce qui est annoncé, les mythes étudiés ne sont pas abordés dans le contexte du Régime Ecossais Rectifié ou des Rites Egyptiens. Il aurait pour cela fallu reprendre les mythèmes concernés dans le cadre spécifique de la doctrine de la réintégration des êtres pour le RER et de l’échelle de Naples pour les rites égyptiens (en effet seuls les quatre derniers grades de l’échelle de Naples sont spécifiquement égyptiens). Par contre, la matière apportée par les auteurs est riche dans le cadre du Régime Ecossais Ancien et Accepté.
Un autre intérêt du livre réside dans le transfert de certains mythèmes traditionnels, notamment propres aux légendes chevaleresques dans les sagas de héros contemporains, de Batman à Dark Vador. Il est intéressant en effet d’observer comment les mythèmes, doués d’une vie propre, savent se répliquer dans des milieux et contextes fort différents.
Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.