Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Shamrock ou Les trois portes de la musique sacrée d’Olivier Manaud et Cécile Barrandon. Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

http://www.dervy-medicis.fr/

 

Les auteurs sont pour l’un, enseignant à l’université et chercheur au CNRS au laboratoire d’architecture et philosophie Gerphau, UMR 7218 à Paris-La-Villette ; pour l’autre, assistante de recherche et médiatrice du patrimoine. Tous deux musiciens et archéo-acousticiens, ils interviennent ensemble pour des cours et des conférences sur les rapports entre musique et architecture.

Voir le documentaire sur le « Chant des pierres au Mont Saint Michel » en lien avec le sujet du livre sur ARTE.tv Sciences : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-015493/le-mont-saint-michel/

 

Leur objectif étant de rendre accessible au grand public des connaissances sur la musique sacrée en particulier, ils ont tenté de distiller ces connaissances à travers un roman. Pour ce faire, l’un des personnages n’est autre qu’un professeur d’université qui, au fil du roman, donne des conférences mensuelles sur « les trois portes de la musique sacrée ». Pour les amateurs de musique, de chant, de compagnonnage et de roman intelligent, ce livre est un régal ! L’intrigue autour de la puissance de la musique - oubliée de nos jours mais bien connue des anciens - est bien menée et voit se confronter deux antiques confréries. De nombreux outils philosophiques seront nécessaires à la résolution de l’enquête menée par deux jeunes disciples qui se les verront transmis par leurs deux professeurs.

 

Le lecteur bénéficie ainsi de nombreuses références tant philosophiques que musicales et des liens sur le web pour écouter ces dernières, avec une belle bibliographie pour les lecteurs désirant aller au-delà de l’aventure du roman. Un vrai travail de professeurs mis au service de leurs élèves dont on ne peut que remercier les auteurs !

 

Le lecteur est donc invité à passer à travers trois portes :

 

1ère porte : la voie cosmologique (Logos- Nature- Esprit)

De la fascination pour le tout à l’intégration dans l’un :

« Baigne-toi dans la Matière, fils de l’Homme. Plonge-toi en elle, là où elle est la plus violente et la plus profonde ! Lutte dans son courant et bois son flot ! C’est elle qui a bercé jadis ton inconscience ; c’est elle qui te portera jusqu’à Dieu ! » (citation de Pierre Teilhard de Chardin dans Hymne de l’univers)

« Une lecture cosmologique de la musique contemporaine peut tout à fait s’inscrire dans la pensée de Teilhard de Chardin. (…) Il pousse sa réflexion jusqu’au rite de la messe. (…) C’est là aussi, en régime chrétien, que la musique trouve son discernement et sa compréhension. Il soulève aussi la question du matériau. (…) Le matériau d’une œuvre musicale n’est pas uniquement constitué de notes de musique, mais d’un contexte de déploiement, d’un écho-système spécifique. Il faut y adjoindre la douceur ou la rugosité des voix humaines et la matérialité des phénomènes acoustiques des voûtes pour et avec lesquelles l’œuvre a été conçue. »

 

2ème porte : la voie anthropologique (Nature- Esprit-Logos)

« Ainsi, l’homme est compris comme un être « sonnant », aussi bien comme réceptacle ou comme acteur d’une production musicale. (…)L’homme est donc le point de contact entre le ciel et la terre. Il est porteur du chant du monde, et tendu vers les réalités d’en haut. En lui, et de manière éminente dans le Christ, il accomplit le passage de la terre au ciel. La musique témoigne de ce passage et peut le favoriser. »

« Dans cette approche anthropologique, l’acte de chant des hommes est magnifié. (…) Lorsqu’il est vécu dans la foi, il constitue une forme d’expérience spirituelle fondamentale permettant ou renouvelant la traversée pascale. Et même s’il n’est pas vécu dans la foi, le chant porte en lui-même une puissance (autrefois décrite dans les mythes) capable de toucher profondément et de susciter un ébranlement intérieur très fort. »

 

3ème porte : la voie métaphysique (Esprit-Logos-Nature)

 «  La musique est cette forme qui nous rapproche au plus près de l’esprit, elle est le voile le plus ténu qui nous en sépare (…). Elle est le point de délimitation de l’humain, à cette frontière commence le divin. Elle est un témoignage éternel de ce que les hommes sont capables de pressentir de Dieu éternellement simple, s’écoulant de manière multiple et de façon dynamique, en lui-même et dans le monde comme Logos. » (Citation de Hans Urs Von Balthasar)

« La musique participe à la restitution rythmique, mélodique et harmonique du Logos. Elle est l’écho audible de la part visible de l’invisible…Elle constitue le voile sensible d’un dévoilement d’une réalité qui pénètre toutes choses. (…) La musique se fait écho de l’image de Dieu en l’homme et au cœur de la création Elle est surgissement et déploiement du mystère. »

«  Le fait de jouer (de la musique), de chanter ou de composer entraîne une sortie de soi pour tout musicien. L’enjeu est ici de se rendre attentif à ce qui se passe en nous lorsque nous vivons cette extase (…), le partager, accompagner son jaillissement pour que l’auditoire ou l’assemblée fasse une véritable rencontre : celle d’un absolu, et si possible celle de Dieu. Un musicien ou chanteur de musique sacrée est un « passeur d’âmes ». »

 

Un concept théologique qui intègre le tissage des trois voies : l’écho-résonance

 

Plusieurs églises sont citées dans cet ouvrage, notamment  la fameuse chapelle octogonale Sainte-Marie d’Eunate en Espagne, sur le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle, si particulière avec sa triple enceinte.

Ici est développé le lien indissociable entre l’architecture des églises, la musique et le corps humain.

« La musique liturgique  d’une part et l’église-bâtiment d’autre part portent donc, inscrit dans le son et dans la pierre, le mystère du corps du Christ. (…) On passe ainsi du corps du Christ, Temple véritable détruit par les hommes et relevé par Dieu en trois jours, au mystère de la pierre d’autel consacrée pour la célébration de la messe. Et de l’autel, pierre angulaire, on passe aux murs de l’édifice ; mais de l’autel, lieu où le Corps eucharistique est livré, on passe aussi à l’église-assemblée visible et invisible. (…) La musique liturgique est le jeu du Christ et de l’Eglise, expression du chant des corps, de cette communion d’amour du Christ et de l’Eglise. L’église-bâtiment joue aussi le rôle d’instrument de musique de l’Eglise-assemblée, lui permettant de retentir les harmoniques du salut. »

 

Ce thriller philosophique et musical ouvre donc les portes du mystère du chant sacré… et une suite est annoncée : « Shiboleth, ou les trois portes de l’architecture sacrée » ! On l’attend avec impatience !

Pour clore cette présentation, un poème très « inspiré » et inspirant, comme un cadeau donné au lecteur par les auteurs :

 

La quinte juste


La quinte, deuxième harmonique
Résonance sonore en musique
Inscrite en notre être mystique
La quinte est sens symbolique.

Elle structure le mystère
Du corps humain-sanctuaire
Discrète, elle suscite un frisson dans l’air,
Le chant du cristal imaginaire

Chant secret de l’émotion,
Elle surgit, sainte vibration
Alchimie sonore de communion ;
La quinte est sensibilisation

Chant des anges, chœur céleste
Sous certaines voûtes se manifeste…
Placer sa voix, le corps et les gestes ;
La quinte, essence sonore s’y leste

L’architecture antique des monastères
Voûtes en berceau, acoustique originaire
Du corps chantant, suppliant dans la prière,
Favorise la vibration de quinte dans l’air

Elle est fondamentale et circulaire.
Le fruit de l’eucalyptus témoin extraordinaire :
Croisée d’ogives, ouverture stellaire,
Cinq branches d’où sort le parfum vert.

De l’homme et la femme,
harmonique supplémentaire,
De chant de l’un et l’autre jaillit complémentaire,
La quinte, comme un halo de lumière,
Arc-en-ciel sonore, diffraction salutaire.

Quinte juste et non pas tempérée,
Ecart naturel par trop souvent oublié :
Par Pythagore déjà élucidée
Fondement de l’art sonore équilibré

Lac interrompu depuis si longtemps
L’archéologie explore le corps chantant
Pour le musicien quel bouleversement !
Qui saura lire à nouveau ce qui se joue pourtant ?

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :