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Hildegarde de Bingen, la sentinelle de l’invisible par Audrey Fella, Editions Le Courrier du Livre.

         Il  y a une permanence d’Hildegarde de Bingen. En la désignant comme « la sentinelle de l’invisible », Audrey Fella nous rappelle la fonction de « veilleur » assumée par la Sainte dont l’oeuvre nous paraît aujourd’hui plus proche que jamais.

         Elle fait partie de ces femmes qui, dans un temps plutôt hostile à la liberté féminine, a su démontrer, à la fois par l’action et par le silence, qu’il n’y a avait pas de spiritualité sans liberté. Elle fut une conscience accrue au sein d’un XIIème siècle trouble et, contrairement à nombre de penseurs, ne connut pas de période d’occultation de son oeuvre. Son culte sut se maintenir et son enseignement ne cessa d’intéresser, en Allemagne principalement mais aussi en Angleterre et en France.

         D’une grande culture, naviguant avec aisance entre science et prophétie, entre théologie et éveil, pragmatisme et art, elle reste totalement moderne et apparaît en bien des domaines comme un précurseur. Avec plusieurs siècles d’avance, elle développe une pensée intégrée de l’homme et de l’univers mais recherche aussi une articulation créatrice entre les diverses disciplines qui étudient l’homme et la création, plutôt que d’opposer les modèles théoriques. C’est peut-être principalement en cela qu’Hildegarde de Bingen est un penseur d’aujourd’hui.

         La biographie, excellente et passionnante, proposée par Audrey Fella met en perspective toutes les facettes d’une femme exceptionnelle dont la vie illustre l’axiocratie initiatique, jamais absente des monastères du Moyen-Âge.

         « Insistons bien là-dessus, nous dit l’auteur, l’initiation « hildegardienne » ne se résout pas à une simple « expérience mystique » - entendu dans le sens d’expression psycho-affective - , qui viserait l’annihilation de l’individualité et son absorption en Dieu, et encore moins à une « expérience psychologique », ce qui nous ramènerait encore à un niveau inférieur à celui du mysticisme puisque les véritables états mystiques échappent totalement à la psychologie ; elle vise l’accomplissement total de l’être à travers sa transformation ontologique. Les états intérieurs, qui lui correspondent, ne sont ni des états psychologiques ni mystiques – la sentimentalité et l’imagination n’ayant plus ici la moindre part. Difficilement exprimables, ils se fondent dans une conscience supérieure et une connaissance suprarationnelle.

         En transposant les vérités de l’ordre religieux dans l’ordre initiatique, Hildegarde tente d’en pénétrer le sens profond qui se heurte à la vue intellectuelle de l’humanité ordinaire. Si elle garde un pied dans le mysticisme, considéré comme une sorte de prolongement ou d’extension dans le sens « horizontal » de l’initiation, puisqu’il reste circonscrit dans le domaine religieux, elle est allée, cependant, bien au-delà de l’illumination jusqu’à l’union avec le principe divin. Ne s’anéantissant pas en Dieu, elle est retournée à la terre, apposant là son sceau personnel. Sa doctrine est claire à ce sujet : elle prône la construction d’un « temple «  de l’âme, situé à la jonction des plans horizontal et vertical, autrement dit terrestre et céleste, qui n’a pas qu’une existence simplement « idéale » mais réelle ; la Jérusalem céleste, prenant racine dans l’Homme, préfigure la manifestation de l’invisible Verbe Créateur dans le visible, la mise au jour du centre spirituel occulté jusqu’alors, ainsi que l’avènement d’un nouvel ordre de l’humanité. »

         Femme de Tradition, et notamment d’une tradition d’amour, Hildegarde de Bingen a su s’affranchir des limites temporelles, des représentations pesantes, des croyances et des concepts, pour transmettre  le sens de l’inconditionnalité qui caractérise l’Esprit libre. « Je suis libre et je ne suis pas liée ! » clame-t-elle. Cette liberté se conquiert, elle n’est pas donnée même si la Grâce la couronne. L’initié et l’initiée font de leur vie une oeuvre. Audrey Fella conclut avec justesse sur ce principe qui sous-tend toute la vie d’Hildegarde. Elle nous rappelle, ce que d’aucuns ont tendance à oublier rendant ainsi inactive la transmission, que l’initiation est une invention et une réinvention permanente de soi-même en liberté et non la réplication temporelle de quelque forme fut-elle sacrée.

         Cet essai n’est pas seulement une biographie à ne pas manquer sur un personnage de l’histoire, c’est l’occasion de découvrir une initiation vivante et toujours opérative, une voie d’éveil véritable.

Le Courrier du Livre, 29 rue de Condé, 75006 Paris.

        

Tag(s) : #Tradition
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