Les trois traités à la source du zen de Nâgârjuna et Âryadeva. Textes établis et présentés par Jacques Moisan. Archè Milano – Diffusion La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.
Jacques Moisan a rassemblé dans ce volume trois textes très importants, deux de Nâgârjuna, rédigés au IIe et IIIe siècles, le Traité du milieu et le Traité des douze portes et un texte de son successeur et disciple, Âryadeva, Cent stances.
Ces textes, rédigés en sanskrit furent traduits en Chine au début du Ve siècle et donnèrent naissance à l’Ecole des Trois Traités, San-Lun qui fut exportée au Japon au VIIe siècle sous le nom de Sanron.
Le Traité du milieu est un classique du courant bouddhiste mahâyâna, à l’origine de la doctrine de la « voie médiane », ou « voie du milieu », madhyamaka, mais est aussi une référence du tchan chinois puis du zen japonais. Ces trois traités sont complétés par un quatrième texte, attribué à Nâgârjuna, le Traité de la grande vertu de sagesse.
Nâgârjuna et son disciple Âryadeva ont interrogé, contesté, réfuté les textes anciens de manière très érudite et rigoureuse selon une tradition que nous retrouvons tant dans le bouddhisme que dans le shivaïsme, tradition qui n’est pas un simple jeu de rhétorique mais un approfondissement permanent.
Exemple avec la stance 3 du Vigrahavyâvartanî de Nâgârjuna :
« Vous ne pouvez pas répliquer que les mots, bien que vides, sont en mesure de réfuter l’essence des phénomènes. Vous illustrez votre thèse à l’aide de l’exemple suivant : à savoir, un homme empêche un autre homme de parler et ainsi, par ses paroles, annule l’existence des paroles d’un autre. Mais dans ce cas, les mots existent, parce que seulement s’ils sont existants peuvent-ils empêcher un autre individu d’exprimer sa pensée. Mais, si c’est le cas, votre exemple va à l’encontre de votre thèse, d’autant plus que votre système soutient que le négateur comme la notion réfutée n’ont pas la moindre réalité. »
Le langage lui-même peut s’auto-dissoudre et libérer des paires d’opposés, des concepts et des commentaires.
« Voir du permanent dans ce qui est impermanent, cette prise est une méprise. Mais il n’y a pas d’impermanent dans ce qui est vide. Comment pourrait-il y avoir une prise qui fût méprise ? »
Nous sommes dans une voie non-duelle qui aborde les sujets les plus divers de la spiritualité, éthiques, philosophiques, métaphysiques pour interroger les évidences. Ce processus de réfutation n’est pas abstrait, il a des conséquences dans la vie quotidienne. « On est possédé par ce qu’on possède. »
L’érudition et la complexité de la logique utilisée pourraient repousser le lecteur mais Nâgârjuna a cette faculté de nous accrocher avec des « perles » qui immédiatement nous saisissent, des perles de vacuité bien souvent.
« Puisque apparition, durée et disparition ne peuvent pas être établies, les réalités constituées ne peuvent pas être instaurées. Puisque les vérités conventionnelles ne sauraient être admises, les phénomènes incréés ne sauraient être fondés. Puisque éléments créés et incréés ne peuvent pas être démontrés, tous les êtres sensibles ne peuvent pas être établis.
En conséquence de quoi, il faut admettre que toutes les choses sont sans… conséquence ; en dernière analyse, elles sont vides et sereines. »