Le Corbeau de Michel Pastoureau. Editions du Seuil, Paris.
Nous retrouvons avec le même intérêt et le même plaisir Michel Pastoureau pour ce livre consacré à un animal tantôt célébré tantôt haï, le corbeau.
Le corbeau fait partie avec l’ours, le loup, le sanglier, le renard, l’aigle, le cygne et le serpent, nous dit Michel Pastoureau, du « bestiaire central » de l’imaginaire des êtres humains « constitué de bonne heure, probablement dès la protohistoire ou la haute Antiquité ». Le dragon, le lion, l’éléphant, le singe complétèrent cette liste.
Après le loup et le taureau, Michel Pastoureau nous conduit auprès du corbeau qui, après avoir été vénéré, connut la haine du christianisme pendant un bon millénaire.
Distinguant histoire culturelle et histoire naturelle, l’ouvrage nous rappelle que le corbeau dans les mythologies antiques est un messager des dieux. Celtes, Slaves et Germains en reconnaissent sa nature solaire. Les Grecs voient en lui une nature déjà plus ambigüe. D’abord blanc, il serait devenu noir d’insolence et d’arrogance, une tradition que nous retrouvons chez certains pythagoriciens.
Avec la Bible et les Pères de l’Eglise, l’ambiguïté se cristallise en une représentation très négative qui perdure. Si Elie est nourri par les corbeaux, l’épisode charognard du corbeau de Noé le fait basculer du côté obscur, dans le bestiaire du Diable.
Il faudra attendre les fabulistes, qui à partir du XIIème siècle reprennent les fables antiques, et les ornithologues pour que de nouveaux regards soient jetés sur l’oiseau qui, le plus souvent, n’en perd pas pour autant sa mauvaise réputation :
« A l’ère moderne, des textes d’une autre nature constituent pour l’historien des animaux une source particulièrement riche : les ouvrages imprimés de zoologie, au sein desquels l’ornithologie prend au fil des décennies une place sans cesse grandissante, au point de se constituer progressivement en science autonome, ayant ses propres publications. Le discours sur le corbeau y devient prolixe. Mais s’il est de plus en plus détaillé, voire savant, il reste le plus souvent, comme celui de la Bible, des Pères, des bestiaires et des fables, très hostile à l’oiseau noir. »
Il faudra attendre les dernières décennies pour que le corbeau, étudié par les sciences, soit reconnu pour son intelligence exceptionnelle.
L’ouvrage nous raconte ainsi l’histoire culturelle du corbeau, mais aussi de la corneille et du choucas, leurs places dans les bestiaires, leurs évolutions dans le symbolisme.
Comme toujours avec Michel Pastoureau, le texte est magnifiquement illustré.