Pathologies de la modernité par Yves Bannel. Editions Télètes, 51 rue de la Condamine, 75017 Paris.
Yves Bannel a publié divers essais au Portugal et en Espagne. Cinq essais sont disponibles aux Editions Télètès, Les pathologies de la modernité étant le plus récent (2021).
La lucidité et la pertinence de l’analyse de l’auteur sont au service de la recherche de solutions. S’il dresse un tableau sombre de la réalité républicaine aujourd’hui, il identifie aussi les ressources présentes et les constituants éventuels d’un nouveau « commun ».
La crise sanitaire que nous traversons n’a fait qu’accentuer des pathologies déjà présentes. Nous ne pouvons plus nous les dissimuler. Yves Bannel parle, comme Jacques Julliard, d’une crise de la conscience républicaine à laquelle nous devons faire face en relevant trois défis, un défi civilisationnel, un défi intellectuel, un défi existentiel : établir un « nous solidaire », penser la complexité, retrouver le sens de l’interne.
L’auteur ne condamne pas les évolutions sociétales, scientifiques, technologiques ou autres mais recherche un nouveau paradigme dans lequel elles puissent s’harmoniser. Il relève toutefois les dangers les plus marquants comme l’appropriation des nouvelles technologiques par quelques groupes privés trop puissants, la marchandisation du monde, la perte de toute liberté par l’hyperconnection, l’impérialisme technologique et scientifique… qui nourrissent une crise de la raison déjà bien installée.
Yves Bannel identifie le politiquement correct comme une atteinte à la liberté des plus dangereuses : débats sommaires, tribunaux d’opinion, postures morales, absence de sens historique, idéologie de la pureté… sont les ingrédients d’un véritable cancer qui ronge nos sociétés. Refuser le conformisme, ne pas hésiter à penser autrement quitte à penser seul un temps, questionner encore et encore, font partie des antidotes.
« Fort heureusement, nous dit-il, la science, pas plus que la vie, n’est en effet un catalogue de certitudes. La grandeur et la noblesse de l’une et l’autre sont d’être soumises au questionnement permanent, à la censure, aux critiques, aux remises en question et même aux nouvelles découvertes et parfois conceptions du monde. »
L’individualisme, la multiplication des communautarismes, le morcellement généralisé des intérêts, nuisent à l’universalisme, au partage et à l’émergence d’une vision créatrice du futur, l’Europe aurait dû être porteuse de projets visionnaires.
Yves Bannel associe nihilisme, individualisme et écologie. Pourquoi l’écologie ? peut-on se demander, « les écologistes, répond-il, évitent la réalité des faits, et nient ceux-ci dès lorsqu’ils ne leur conviennent pas ». C’est donc une incapacité à penser le changement et le complexe qui conduit à s’enfermer dans des « passions tristes ».
L’ouvrage se termine par quelques propositions en évitant toute politique politicienne, comme rétablir le débat, accepter l’incertitude et l’imprévisible, reconstruire la légitimité des autorités de toute sorte, ce qui sous-entend qu’elles démontrent leur excellence, établir un rapport non soumis et créatif aux nouvelles technologies, redonner un sens à la culture, à la langue, à la mémoire, à l’histoire…
« En résumé, conclut Yves Bannel, il faut interroger chacun au fin fond de sa solitude, accepter l’impénétrable de chaque intimité, et entrer dans l’inconscient collectif pour rechercher le sens de la vie et celui d’un commun, si possible démocratique. Pour que l’aventure humaine poursuive son parcours, il faut se ressourcer et donc renoncer à une pure rationalité, creuse sur le plan émotionnel et vide sur le plan spirituel. Comme le note Jacques Vanaise, il serait temps de savoir comment nous comporter en tant que civilisation… à l’échelle de la planète. »