Parlez-vous le franc-maçon. Les langages symboliques de la franc-maçonnerie de Pierre Pelle Le Croisa, Editions Dervy.
Pierre Pelle Le Croisa part d’un constat très lucide et particulièrement juste : nombre de jeunes apprentis trouvent le cérémonial de leur entrée en Franc-maçonnerie désuet, voire ridicule. Si certains restent néanmoins, nous savons que la Franc-maçonnerie intéresse peu la jeunesse et a du mal à conserver ses membres.
Pierre Pelle Le Croisa rappelle que « Dans l’Antiquité, à l’époque des « mystères », les initiés savaient distinguer la farce de la cérémonie (où l’on faisait intervenir des dieux en chair et en os) et la muêsis (la métamorphose du récipiendaire qui, elle, requérait du temps). » Et de citer Jules Romains, Etienne Martin de Saint-Léon, ou Guy de Maupassant qui, entre autres auteurs, se sont moqués de ce mauvais théâtre.
A travers une série de questions qui met en évidence l’incompréhension du langage maçonnique non seulement par le nouvel apprenti mais par nombre d’anciens membres de l’Ordre, l’auteur insiste sur un apprentissage qui fait défaut, celui d’un véritable langage maçonnique ou plutôt de véritables langages maçonniques, car il s’agit bien d’un pluriel : cinq traditions, sept discours et neuf principaux langages symboliques.
Partant des fonctions du langage, il distingue entre mode de pensée logique et mode de pensée analogique pour mieux appréhender la complémentarité des deux modes de pensée et le passage de l’approche analogique à la démarche symbolique. Au cœur de son propos domine la distinction des niveaux logiques pour mieux éclairer la richesse du dialogue entre ceux-ci un dialogue qui favorise le passage « du sens à la connaissance ».
« L’élément symbolique, parce qu’il crée du sens pour la conscience, se transforme en sujet à penser pour la connaissance. Dès lors, à la suite de Ricoeur, nous pouvons dire que « le symbole donne à penser [pour que le concept donne à connaître ». Si les francs-maçons prennent les « mots-symboles » comme des outils pour exprimer des idées, c’est parce que les idées s’apprennent plus facilement grâce aux « mots-images » qui les désignent. (…) Le langage symbolique est performatif parce que son usage expressif le rend auto-implicatif : il répond, par l’idée qu’inspirent les mots, à une espérance d’idéal auquel aspire celui qui l’interroge. »
Cette dimension symbolique de la pensée s’épanouit au sein du discours mythique :
« Aux différents mondes que proposent les mythologies vont donc correspondre différents types de connaissances, auxquels répondront différents modes de vie : les religions, les sciences, les arts par exemple ont leurs propres visions du monde, et par conséquent leurs propres ré-flexions sur le monde ; ils induisent, chacun dans son domaine, des formes particulières d’être-au-monde. Les mythes, quant à eux, apportent des réponses à des questions de sens. Ils interrogent l’histoire et l’interprètent en termes de vérité : narrée, elle devient exemplaire pour tous les temps. Le monde s’organise par rapport à moi, par rapport à mon corps, par rapport à mon centre. Mais ce qui est valable pour moi est aussi valable pour les autres. Le mythe renvoie à un imaginaire qui suppose une sorte de symbolisme collectif. C’est par cette activité symbolique que le monde extérieur s’appréhende. Le mythe modélise la vie en la ritualisant. »
L’analyse, dont l’humour n’est pas absent, de Pierre Pelle Le Croisa n’est pas seulement judicieuse, elle peut servir à un renouveau maçonnique qui tarde. En dégageant « neuf types de langage symbolique (hébraïque/kabbalistique, scolastique/mystique, géométrique, arithmétique, chevaleresque, alchimique, cinétique, descriptif/figuratif et chromatique), sept sortes de discours structurant (exotérique/ésotérique [pour la judéo-christianité], architectural/stéréotomique [pour la construction], allégorique/pseudo-historique [pour la chevalerie], pratique/spirituel [pour l’alchimie], kinesthésique [pour la gestuelle], technique/idéique [pour les objets] et polychromique [pour les décors] et cinq grandes traditions (biblique, opérative, chevaleresque, alchimique, cérémonielle/scénographique) » qui opèrent en Franc-maçonnerie, il veut faire de celle-ci ce qu’elle est trop peu souvent, une tradition des traditions qui fonde d’ailleurs sa prétention à l’universalité.
C’est ainsi un plan de recherche que propose Pierre Pelle Le Croisa à même de replacer la Franc-maçonnique dans un mouvement dynamique.
Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.